c. Evolution du guide d’entretien

D’autre part, cette phase exploratoire a mis en évidence l’intérêt d’une approche de ces représentations au travers d’un discours référentiel, au-delà du simple discours modal auquel faisait principalement appel la première version du guide d’entretien. C’est ce que soulignent Alain Blanchet et Anne Gotman :

‘« Ces enquêtes, qui visent la connaissance d’un système pratique (les pratiques elles-mêmes et ce qui les relie : idéologies, symboles, etc.), nécessitent la production de discours modaux et référentiels, obtenue à partir d’entretiens centrés d’une part sur les conceptions des acteurs et d’autre part sur les descriptions des pratiques. » (2001, p. 33)’

Nous avons donc intégré une invitation à la narration d’expériences professionnelles afin de favoriser – de manière complémentaire au discours modal, en grande partie, que générait la première version de notre guide d’entretien – l’expression d’un discours référentiel et narratif dont l’intérêt est apparu au fil des premières rencontres. En effet, quand les participant-e-s en venaient à parler spontanément d’expériences professionnelles, nous avons pu observer que ces récits d’accompagnements permettaient de dépasser un discours “de surface”, rationnel et contrôlé, pour en arriver à une verbalisation “plus spontanée”, c’est-à-dire témoignant davantage des contradictions, des mouvements affectifs, des enjeux à l’œuvre dans l’interaction avec les personnes aidées et dans l’implication des aidant-e-s professionnalisé-e-s rencontré-e-s. Selon Michel Autès (1999), il faut prêter attention à la « Mètis du travail social »108, en tant qu’intelligence pratique mise en œuvre par les praticien-ne-s, et il affirme que celle-ci se donne à entendre dans le récit. Ces deux formes du discours présentent chacune leur intérêt, et le fait de se limiter à l’une ou l’autre aurait conduit à un recueil de données moins riche.

La version initiale du guide d’entretien se présentait sous la forme suivante, organisée autour de quatre axes d’interrogation :

Une dernière question visait, par une tâche associative, à explorer la dimension structurale des représentations professionnelles (« Pouvez-vous me donner 5 mots qui vous viennent à l’esprit, en rapport avec le mot “aide” ? »), mais nous avons finalement abandonné cette perspective pour nous centrer sur l’investigation de la complexité des systèmes d’interprétation mis en œuvre.

Ce guide d’entretien, au fil des interviews, s’est simplifié pour aboutir à la formulation de trois grandes questions : la première centrée sur la définition du rôle ; la seconde où les personnes étaient invitées à relater deux expériences, l’une ayant une connotation positive, l’autre une connotation négative ; la troisième concernant les aspects satisfaisants, et au contraire, les sources de frustration de ce métier. C’est sur ce modèle qu’à été constitué le guide d’entretien de la seconde phase d’investigation.

Après avoir retracé le parcours effectué dans cette phase exploratoire et montré l’élaboration méthodologique à laquelle elle nous a mené, nous allons à présent pouvoir aborder les premiers résultats qu’elle apporte.

Notes
108.

Il définit cette notion de la manière suivante : « La Mètis est ce qui chez les Grecs s’oppose au Logos. Le Logos construit un ordre du monde à partir du pouvoir fondé dans la science, dans la vérité, dans la capacité de décrire un monde ordonné, rationnel, et gouvernable depuis cette certitude fondée sur des énoncés vrais et identifiée dans des lieux de pouvoir. La Mètis, la ruse, l’intelligence pratique, représente tout ce qui s’échappe de cet ordre, tout ce qui se passe dans les interstices. » (1999, p. 252)