Préambule : Constitution de la grille d’analyse thématique

Pour introduire aux résultats de la phase exploratoire (et la grille d’analyse constituant l’un de ces résultats), nous allons à présent expliquer comment s’est constituée la grille d’analyse thématique. La construction de la grille d’analyse est un temps intermédiaire entre le temps de l’investigation (puisqu’elle participe de la prise de connaissance du contenu des entretiens) et la phase d’organisation et d’analyse des données : cette élaboration est donc un moment charnière, un espace transitionnel entre l’exploration du phénomène et le cadre d’analyse qu’on se propose de produire.

Cette grille d’analyse s’est constituée peu à peu, et a commencé par la formulation synthétique des idées amenées au fil de l’entretien, qui ont ensuite été regroupées dans des ensembles signifiants : les thèmes et sous-thèmes sont issus de ce travail de regroupement. Les catégories créées ont finalement visé à organiser l’ensemble des thématiques dégagées, de manière à construire une structure générale qui fasse apparaître différents objets, objets sur lesquels porte le discours mais qui sont dans le même temps sculptés par le travail d’analyse, dans un processus d’abstraction. La définition de ces objets et de leurs contours repose donc sur une conceptualisation, et au fur et à mesure du repérage des thématiques traversant les entretiens, nous avons pu les regrouper au sein de cinq catégories, permettant de prendre en charge une très large majorité du corpus (plus de 85%). Cette catégorisation s’appuie tout d’abord sur le concept de rôle :

Première catégorie : rôle de l’aidant-e professionnalisé-e – l’activité qu’il comprend, sa visée, ses contours

Nous avons regroupé dans cette catégorie l’ensemble des propos contribuant à définir, décrire, circonscrire le rôle rempli par les praticien-ne-s rencontré-e-s ; la catégorie de rôle étant conceptualisée de la manière suivante :

‘« En ce sens, les rôles sociaux sont à la frontière floue entre l’influence de l’environnement (milieu de vie, normes, valeurs, etc.) et l’expérience de l’individu (rôle en tant que conduite, manière d’interpréter et de construire sa réalité, ses activités de vie quotidienne, etc.). » (Fougeyrollas & Roy, 1996, p. 48)’

Ainsi, cette catégorie comprend trois principaux thèmes, chacun répondant à une question précise qui participe de la définition du rôle :

  • Quelle activité est développée par l’aidant-e dans le cadre de son exercice professionnel ? Ce thème rassemble donc l’ensemble des propos où les participant-e-s décrivent leur action (de manière générale, comme par exemple dans l’affirmation suivante : « j’ai énormément un rôle d’étayage pour les gens », M. D., ou dans le récit d’une action réalisée dans un contexte donné : « on tire plein d'offres, je passe des coups de fil à sa place, je lui fais des petites lettres, hein, des petits fax et cetera… », Mme SR.).
  • Quels objectifs sont mis en avant, concernant ce rôle ? Ce thème regroupe les propos où la visée du rôle est explicitée (ex : « Donc quand même l’objectif, c’est qu’à un moment donné, on ait au moins réussi à socialiser les gens », M. D.).
  • Quels contours sont donnés à ce rôle ? Quelles frontières sont tracées par les participant-e-s, entre ce qui relève de leur champ de compétence et ce qui en est exclu ? Ces frontières s’appuient sur la définition de missions (« nous on a quand même toute la mission protection de l'enfance », Mme AL.) et sur la formulation de « limites » (ex : « nous, on écoute et même temps on peut pas leur apporter la réponse, comme ça. Et… ça… Voilà, ce sont les limites. », M. G.).

Deuxième catégorie : interaction entre aidant-e et aidé-e – ses caractéristiques, les processus qui s’y jouent

Pour cette seconde catégorie, nous nous appuyons sur le concept d’interaction, pour rassembler les propos qui contribuent, selon l’expression de Serge Moscovici (1970), à « définir la qualité sociale de l’interaction, la nature et les termes du rapport » (p. 30). C’est pourquoi cette catégorie se décline en deux thèmes, répondant aux interrogations suivantes :

  • Quelle est la nature de la relation, son “état”, autrement la manière dont elle peut être caractérisée, à un moment donné, par les participant-e-s ? Le thème de la nature de la relation réunit les propos qui caractérisent son état, de manière générale (ex : « Souvent les… les conflits c'est au niveau logement parce que les gens se retrouvent à la rue un beau jour et il faut tout de suite qu'il aient un logement, quoi.», Mme MB.) ou particulière (ex : « Et là en fait, ça a redémarré sur quelque chose de… d'assez confortable, où y'a une confiance réciproque, quoi, et ça c'est quand même assez sympa, quoi. », Mme MB.).
  • Quels sont les processus (le rapport dynamique) à l’œuvre dans l’interaction, du point de vue des aidant-e-s ? De la même manière que pour la thématique de la nature de la relation, ce versant dynamique peut être décrit de manière générale (ex : « les personnes ont des ressources, hein, et on fait en sorte qu'elles puissent en prendre conscience, hein. », Mme S.) ou en rapport avec une situation précise (ex : « c'est discuter, échanger, essayer de donner une nouvelle ouverture à sa vie. », Mme H.).

Troisième catégorie : du côté de l’aidant-e – vécus exprimés, caractéristiques

Le troisième objet qui peut être dégagé du corpus langagier étudié est celui qui se rapporte à ce que les participant-e-s disent d’eux/elles-mêmes, les propos sont alors focalisés non plus sur le rôle ou sur l’interaction avec les personnes aidées, mais sur les spécificités, l’individualité pourrait-on dire, de celui ou celle qui s’exprime. Cette catégorie se subdivise en deux thèmes :

  • L’un concerne les vécus liés à la pratique, la manière dont les participant-e-s témoignent de leur intériorité, des émotions et pensées qui les traversent : quels affects sont exprimés dans la verbalisation des participant-e-s (ex : « je me sens franchement diminuée et très en colère parce que… », Mme MB.), et quel rapport entretiennent-elles vis-à-vis de leur travail ? (ex : « c’qui me plaît dans mon boulot, et ben, moi j’aime bien être au près des gens, être proche des gens, c’est c’te relation un peu privilégiée qui me plaît », M. D.)
  • L’autre concerne les “caractéristiques de l’aidant-e”, ce qui contribue à définir son identité et ce qui sous-tend les analyses et interprétations réalisées par les participant-e-s : parcours de vie (ex : « Moi j’ai eu un père militant PC, puis une mère mili... gaulliste, mais féministe, qui... Comme De Gaulle a fait voter le vote des femmes... (rire) », Mme CF.), opinions, valeurs et vision du monde (ex : « Et moi je trouve qu’au niveau des références, y’a besoin... il en auraient bien... les références... quelles sont... y’en a... enfin... On se rend bien compte les parents manquent de... Y’a des grosses difficultés éducatives et... y’a pas de références, les parents n’ont pas de références. », Mme CF.).

Quatrième catégorie : du côté de l’aidé-e – les « difficultés », la demande

Dans cette catégorie sont regroupés les propos qui caractérisent les personnes aidées. Parmi ceux-ci, deux aspects intéressants au regard de nos axes de recherche peuvent être distingués :

  • Quelles sont les difficultés, les problèmes rencontrés par les personnes qui sollicitent une aide, d’après les participant-e-s ? (ex : « Alors le problème de santé principal, c’est l’alcool, qu’il nie toujours et qui est vraiment très ancien. », Mme FA.)
  • Comment les aidé-e-s formulent-ils ou elles leur demande ? (ex : « Non mais… j'ai aussi énormément de personnes qui peuvent plus demander, avoir une demande d'emploi. Et qui à l'inverse, arrivent en me déballant tout. J'ai tant d'enfants, j'ai mal là, j'ai mal ci, j'ai… », Mme SR.)

Cinquième catégorie : le contexte – institutionnel, local, social

Les propos portant sur le contexte de la pratique sont rassemblés dans cette dernière catégorie, nous les avons ensuite classés selon trois thèmes, en fonction du “niveau” de contextualisation : contexte institutionnel, contexte local, contexte social.

Les sous-thèmes qui constituent la déclinaison des thématiques repérées seront définis au fil de la présentation des résultats de l’analyse thématique, que nous allons à présent pouvoir aborder. Ceux-ci seront amenés en même temps que ceux issus de l’analyse de l’énonciation et de type sémantique et structurale, car ces analyses s’éclairent mutuellement.