b. Ce que les participant-e-s disent de leur rôle : quelle activité, quelles limites et quels objectifs ?

Modalités de description de l’activité mise en œuvre dans le cadre du rôle

En premier lieu, nous observons une grande diversité dans les activités évoquées par les aidant-e-s interrogé-e-s quand ceux et celles-ci parlent de leur rôle. Des termes diversifiés quant à la nature de leur action sont utilisés dans les entretiens pour décrire les pratiques :

‘« Orienter ; écouter ; accompagner ; conseiller ; soutien ; suivi ; médiation ; impulser ; diriger ; animer ; faire les démarches ensemble ; diagnostic ; proposer des solutions ; dire ; rôle de recadrage ; aider ; analyser ; redynamiser ; rôle d’étayage ; rôle de révélateur ; identifier ; recevoir des personnes ; rôle de relais ; apporter une réponse ; amener à participer ; solliciter ; repérer ; donner des solutions ; intermédiaire ; faire réfléchir ; travail éducatif ; permettre à la personne de se confier ; soutien matériel ; soutien moral ; établir un lien ; aider à faire ; faire à la place ; valorisation ; faire des liens (…) » ’

La diversité qui apparaît ici correspond davantage à une polyvalence, à une multiplicité de postures adoptées par un-e même praticien-ne qu’à une disparité des pratiques entre les participant-e-s : six d’entre elles/eux évoquent par ailleurs la polyvalence de leur rôle.

Cette polyvalence est expliquée par une démarche d’adaptation aux besoins de la personne qui les sollicite. Ainsi, la diversité des pratiques correspond à la diversité des demandes exprimées par « les gens », à la diversité des besoins perçus par l’intervenant-e social-e :

‘« Je crois que c'est différent l'aide qu'on peut leur apporter, parce que y'a des gens qui viennent chercher une aide plus morale, et d'autres c'est des choses plus concrètes, des offres d'emploi ou des techniques pour chercher. » (M. G.)’

Ainsi, il est important de remarquer que les pratiques des intervenants sociaux se déploient en un éventail d’activités et de postures qui relèvent de différents champs de compétences. Nous avons regroupé les activités décrites dans les entretiens selon qu’elles relevaient, à notre sens, de compétences de type “relationnelle”, “technique”, “sociale” ou “éducative”, ces sous-thèmes étant définis de la manière suivante :

  • L’activité de type “relationnelle” (« écouter, accompagner, soutien moral ») correspond à une activité qui vise à établir et à maintenir un lien, à développer les échanges, la communication, de manière quantitative et qualitative, ainsi qu’à une activité de soutien moral.
  • L’activité “technique” (« apport de solutions, soutien technique, diagnostic ») correspond à la mise en œuvre d’un savoir technique, qui est mis à la disposition de la personne aidée.
  • L’activité de type “sociale” (« orientation, médiation ») renvoie à l’usage de connaissances sur la structure sociale, mises à la disposition de l’aidé-e également, dans une visée d’orientation, mais elles renvoient aussi à “faire jouer” le rôle de l’aidant-e sur une scène sociale où ce dernier médiatise la rencontre entre l’aidé-e et un tiers. Autrement dit, il s’agit là de donner des clés d’accès à certains espaces sociaux.
  • Enfin, l’activité “éducative” (« transmission, recadrage ») est mise en œuvre lorsque l’intervenant social se porte garant d’un cadre, pour lui et pour l’autre, ou lorsqu’il/elle transmet des normes, des règles ou des valeurs.

Les propos des participant-e-s seront intégrés à l’un de ces sous-thèmes s’ils décrivent une activité qui peut être caractérisée par l’un de ces “types”. Nous avons de plus créé un cinquième sous-thème : celui de la “polyvalence”, qui correspond aux moments où les aidant-e-s interrogé-e-s soulignent la polyvalence de leur rôle, c'est-à-dire le fait de déployer leur activité dans différents champs (par exemple, aide technique et relationnelle). Quel est le poids respectif de chacun de ces sous-thèmes dans le discours recueilli ? Observons comment se répartissent les propos recueillis dans les différents sous-thèmes que nous proposons :

Description par les participant-e-s des activités mises en œuvre (Givors)
Description par les participant-e-s des activités mises en œuvre (Givors)

Nous voyons dans un premier temps que chaque personne interrogée inscrit son activité dans plusieurs des champs que nous avons définis. Sept participant-e-s se situent dans au moins trois types différents. Ce résultat est à mettre en parallèle avec le fait que six participant-e-s sur neuf soulignent la polyvalence de leur rôle. Cette première constatation tend à montrer que la pratique professionnelle est présentée comme comportant différents aspects, comme faisant appel à des compétences diversifiées.

Ensuite, nous observons que les activités relationnelle et technique sont les plus fréquemment citées : le nombre d’occurrence est très élevé pour ces deux sous-thèmes. C’est ce qu’illustre, à titre indicatif111, le graphique suivant :

Poids de chaque “type d’activité” dans le discours : occurrences et effectif
Poids de chaque “type d’activité” dans le discours : occurrences et effectif

Ce graphique fait clairement apparaître que les intervenant-e-s interrogé-e-s parlent plus volontiers de l’activité relationnelle et technique qu’elles et ils peuvent développer : le nombre d’occurrence est supérieur pour ces deux sous-thèmes. La dimension relationnelle – principalement caractérisée par l’écoute et l’étayage – et la dimension technique – activité de conseil et de soutien technique au premier chef – du rôle apparaissent comme des pôles d’identification majeurs dans l’identité professionnelle.

Les compétences relationnelles et techniques sont “centripètes” en ce qu’elles sont tournées vers la relation duelle aidant/aidé-e ; les compétences sociales et éducatives sont “centrifuges” car elles visent l’extérieur de la relation : elles se réfèrent à un tiers, à un ailleurs. Les pratiques des intervenant-e-s interrogées apparaissent ici comme majoritairement centrées sur l’interaction, le face-à-face entre aidant-e et aidé-e dans l’ici et maintenant. Les compétences sociales et éducatives, davantage tournées vers l’extérieur, visant un après et un ailleurs, prennent une part plus restreinte dans la description du rôle joué. L’aidant-e apparaît donc avant tout comme un individu qui entre en relation avec un autre individu et qui lui offre un service. L’agent social qui transmet des règles et/ou médiatise l’accès à la scène sociale ne vient qu’en arrière plan, dans le discours analysé.

La posture éducative est très minoritaire dans le discours porté par les aidants interrogés. Ces résultats peuvent s’expliquer de deux manières : soit les intervenants parlent peu de leur rôle éducatif parce qu’il leur apparaît comme négatif, soit la dimension éducative est très minoritaire dans les pratiques. Tout d’abord, ces résultats peuvent témoigner d’un “tabou” sur l’activité éducative exercée dans le cadre de l’intervention sociale. Cette activité peut en effet être considérée comme socialement indésirable, les participant-e-s préférant alors ne pas l’évoquer, ou rarement. La seconde explication, selon laquelle les intervenant-e-s joueraient peu ce rôle éducatif, est également à envisager. Nous verrons par la suite, par notre investigation complémentaire, que la première hypothèse trouvera davantage d’arguments pour la soutenir, et que l’activité qui ressort d’un registre éducatif – et plus particulièrement ses versants de rappel à la règle et à la norme – fait l’objet d’un déni dans la définition générale du rôle (ce qui explique le faible nombre d’occurrences à ce sujet), et parfois d’une dénégation (quand les participant-e-s affirment ne pas jouer ce rôle).

Notes
111.

Ces graphiques servent juste à rendre les résultats plus lisibles, nous ne prétendons pas qu’ils correspondent à des résultats significatifs d’un point de vue statistique.