e. A propos de l’aidé-e : quelle caractérisation est réalisée par les participant-e-s ?

Le discours porté sur les personnes aidées est l’objet d’une grande variabilité selon les interviewé-e-s, aussi était-il complexe de thématiser les propos tenus dans les entretiens. Il y a peu de points de consensus autour des caractéristiques des aidé-e-s. C’est la raison pour laquelle la catégorie “autres” représente un poids aussi important. Par ailleurs, nous y avons également classé toutes les phrases où la situation des personnes est expliquée, de manière concrète.

Dans la diversité des propos tenus, nous avons cependant pu regrouper certains d’entre eux au sein de deux thèmes : celui des “difficultés” rencontrées par les aidé-e-s, et celui de la “demande” de ces derniers vis-à-vis des intervenant-e-s sociales, telle que ces dernier-e-s la perçoivent .

Caractérisation des aidé-e-s dans le discours (Givors)
Caractérisation des aidé-e-s dans le discours (Givors)

Le thème des difficultés rencontrées par les personnes aidées est largement développé dans les entretiens. Ceci ne paraît guère surprenant, étant donné que c’est, en général, ce qui amène celles-ci à faire appel à des intervenant-e-s sociaux ! Notons la variabilité du discours recueilli concernant ces difficultés : seul l’isolement apparaît comme faisant l’objet d’un faible consensus (avec neuf occurrences pour quatre participant-e-s), viennent ensuite les problèmes financiers dont parlent trois participant-e-s. Ces propos autour de l’isolement sont en écho à la question de la fragilité du lien abordée précédemment :

‘« C’est-à-dire  le fait d'être réduit à sa position d'individu, quoi. C’est-à-dire  que… oui, de la solitude. Un sentiment d'isolement, plutôt. Oui, d'isolement, par rapport à la façon dont on va se sortir de cette galère, oui il me semble que c'est ça. L'insécurité et puis le sentiment d'être seul, de pouvoir compter peut-être sur personne. » (Mme AL.)’

Bien souvent, les difficultés sont évoquées, sans que les intervenant-e-s précisent leur nature. Bien sûr, les entretiens n’étaient pas axés sur les raisons amenant les personnes à faire appel à un intervenant social, mais le flou et l’aspect peu consensuel des réponses interroge. Est-ce lié à la diversité des demandes et des besoins ? Le fait que les participant-e-s situent de manière plus précise les difficultés d’une personne quand elles abordent une situation particulière tend à confirmer cette explication. Cependant, on peut aussi considérer que les intervenants sociaux sont rarement amenés à donner une vision générale des problématiques auxquelles sont confrontées les personnes qu’ils reçoivent. La perspective du cas particulier est davantage mise en œuvre que celle d’une analyse générale des enjeux sociaux.

Ce fait rejoint peut-être ce que nous avions mis en lumière précédemment : le rôle se conçoit plutôt sur un mode interindividuel (compétences relationnelles et techniques) que selon le statut d’agent social (compétences sociales et éducatives) rencontrant un autre agent social, l’aidé-e, qui occupe une place définie dans l’ensemble sociétal. Les rapports intergroupes s’estompent au profit de la question de la situation spécifique de la « personne », terme le plus employé pour désigner les aidé-e-s – son indéfinition est parlante.

Un autre point abordé dans cette catégorie est celui de la demande des personnes aidées (44 occurrences, sept participant-e-s). Là aussi, la variabilité du discours est importante. Néanmoins, un petit consensus (9 occurrences, quatre participant-e-s) apparaît autour d’une demande de soutien. La réflexion sur les modalités de la demande est relativement peu présente. Ceci apparaît en décalage avec l’affirmation prépondérante d’un travail relationnel, et plus particulièrement de l’activité d’écoute mise en avant dans les entretiens. L’écoute des intervenant-e-s sociales semble ainsi peu centrée sur le mode d’entrée dans la relation121. Ceci nous amène à nous interroger sur l’écoute des intervenant-e-s sociaux : sur quoi est-elle centrée ? A quoi correspond cette notion, pour ces praticien-ne-s ?

Le terme “générique” d’écoute semble fonctionner, dans les entretiens, comme la boîte noire des behavioristes, à un niveau interindividuel : la parole des personnes aidées, à laquelle conduit l’écoute des aidant-e-s, produit, d’après les personnes interrogées, des effets. Mais ce qui se produit entre l’écoute proposée, et les effets perçus chez les aidé-e-s, reste mystérieux, ou du moins n’est pas explicitement défini.

‘« Parce que le fait de discuter avec moi, ils vont pouvoir poser des choses à un moment donné, ça va leur faire un bol d’air et il vont pouvoir repartir mieux. » M. D.’

En quoi la prise de parole produit-elle des effets ? Il y a peu d’éléments de réponse explicites dans les entretiens que nous avons étudiés. La notion d’écoute nous apparaît comme une boîte noire : les processus qu’elle met en œuvre, pour aboutir selon les participant-e-s à la « prise de conscience » ou au mieux-être, ne sont pas abordés dans les entretiens. Comment cette écoute est-elle donc comprise par les intervenant-e-s du champ social ? Nous nous demandons également : de quelle écoute122 s’agit-il ? Plus précisément, qu’est-ce qui est écouté, et comment ? Cette interrogation constitue une piste de recherche à explorer dans les suites de notre investigation.

Enfin, le thème des problèmes de santé prend une place identifiable (22 occurrences, 5 participant-e-s) dans le discours sur les personnes aidées : nous pensons qu’il s’agit là d’un effet de l’articulation de cette phase exploratoire au dispositif de recherche-action portant sur la question de la santé et de l’accès aux soins. En effet, les entretiens que nous étudions ici se situent dans le contexte d’une reconduction d’entretien, la première ayant été plus spécifiquement consacrée à la problématique des interactions entre santé et précarité. C’est pourquoi il n’est pas étonnant que cette question fasse retour dans les entretiens.

Nous avons donc vu, dans la catégorie regroupant le discours sur les caractéristiques des aidé-e-s, que les propos tenus sont très variables, et qu’il ne se dessine pas de consensus autour d’une figure, ou des figures, de la personne aidée. Si celle-ci se caractérise en grande partie par ses difficultés, leur nature est très variable dans le discours recueilli (isolement, problèmes financiers, familiaux, de santé physique et psychique…). Il n’y a pas dans notre corpus de stéréotype de l’aidé-e. La caractéristique la plus consensuelle (quatre participant-e-s sur neuf) est l’isolement, ce qui entre en cohérence avec les propos sur la fragilité du lien, précédemment observés. C’est donc la figure de la désaffiliation qui domine, dans ce tableau ne dessinant pas de manière nette le visage de la personne aidée, mais plutôt une foule composite d’individus en difficultés sur le plan social, économique, psychique, et/ou de la santé. Par ailleurs, les propos tenus par les participant-e-s sur la demande qui leur est formulée sont également divers, seules la demande de soutien et une demande qui se caractérise par l’urgence réunissent plus de trois participant-e-s. Ainsi, dans l’ensemble, c’est avant tout la diversité des difficultés, des demandes qui caractérisent les personnes aidées.

Notes
121.

Cette constatation est sans doute le reflet de ma culture professionnelle de psychologue où la notion de demande joue un rôle important, et fait l’objet d’une écoute toute particulière. Mon analyse est en effet tributaire des mouvements de confrontations, de distanciation et de rapprochement entre ma posture de psychologue praticienne et celle des intervenant-e-s sociaux interrogé-e-s. Ma grille de lecture en tant que chercheure ne peut être dissociée de celle mise en œuvre dans cet autre cadre de ma pratique professionnelle. Ma propre expérience de la rencontre de l’autre, dans le cadre d’entretiens se déroulant dans un bureau – bien que liés à un contexte et une visée différents, est un point d’appui pour comprendre ce que disent ces praticien-ne-s du champ social. Dans le même temps, il est important de mettre à jour ces mouvements d’identification et de mise à distance pour.

122.

Pour les psychologues, l’écoute se définit souvent comme une attention (paradoxalement liée à l’écoute flottante) portée à la vie psychique du sujet : conflictualités psychiques, modalités de rapport aux objets internes, dynamiques inconscientes qui traversent le sujet… Elle se situe dans un cadre d’analyse précis. Quel est celui mis en œuvre par les intervenant-e-s sociales lorsqu’ils ou elles parlent d’écoute ?