b. Synthèse des résultats de l’analyse Alceste et mise en rapport avec l’analyse de contenu

Le traitement des données avec le logiciel Alceste fournit des résultats qui entrent en cohérence avec ceux de l’analyse thématique, et constituent dans le même temps une vision complémentaire, plus générale, du discours développé dans les entretiens. L’analyse de contenu réalisée précédemment permet une interprétation plus fine de ces résultats, et le fait de croiser les méthodes d’analyse permet de dépasser les limites d’une approche intensive du discours, comme celles d’une approche lexicométrique, leur intérêt respectif étant soutenu par la triangulation méthodologique.

L’analyse réalisée par le logiciel Alceste fait ressortir quatre mondes lexicaux spécifiques qui mettent en lumière la présence de différents foyers de sens chez les intervenant-e-s sociaux que nous avons interrogés. La première classe est le lieu privilégié d’expression des représentations professionnelles d’une aide relationnelle, visant une « prise de conscience » de l’aidé-e, celle-ci s’appuyant sur la relation de confiance établie. La classe 4, reliée à la première, témoigne plus spécifiquement des représentations du rôle joué par l’aidant-e, dans la perspective d’une démarche maïeutique, où l’écoute se présente comme une activité centrale dans cet accompagnement. La troisième classe dégagée par l’analyse est davantage centrée sur le public, c’est-à-dire qu’elle rassemble le discours plus particulièrement consacré aux caractéristiques des personnes aidées : leur statut social, leurs « problèmes ». La classe 2 regroupe les propos sous-tendus par une perspective sociale, une visée éducative humaniste (progrès social, autonomie, socialisation), et l’activité est alors rapportée au contexte et plus particulièrement au cadre institutionnel et légal dans lequel s’inscrit l’action sociale. Nous avons vu que ces deux classes peuvent être rapprochées, par la perspective sociale à laquelle elles correspondent toutes deux.

Nos résultats peuvent tout d’abord être mis en lien avec les observations de Jean-Claude Abric. Celui-ci remarque en effet que la représentation d’une situation dépend de quatre composantes : la représentation de soi, de la tâche, des autres et du contexte (1994, p. 30). La classe 4, qui concerne le rôle de l’aidant-e dans une visée d’aide relationnelle, peut être comprise comme témoignant de manière privilégiée de la « représentation de soi » des intervenant-e-s. La classe 1 peut être comprise comme participant spécifiquement de la définition de la tâche à accomplir : la mise en travail de l’aidé-e, sur le plan subjectif. La classe 3, lieu d’un discours sur les caractéristiques du public traduit en particulier la « représentation des autres », et enfin, la représentation du contexte est en grande partie liée au contenu de la classe 2 : les politiques d’action sociale constituent le contexte, le cadre culturel et législatif dans lequel s’inscrivent les pratiques d’aide à autrui professionnalisées.

Par ailleurs, les politiques d’action sociale correspondent également à la “commande institutionnelle”, au rôle prescrit tel qu’il est perçu par les intervenants sociaux. Guimelli et Reynier (1999) mettent en lumière, en étudiant « la représentation de l’infirmière », l’existence d’un rôle propre : celui que l’infirmière se donne, et d’un rôle prescrit : celui prescrit par les médecins. Les représentations qui sous-tendent le monde lexical de la deuxième classe peuvent correspondre à ce rôle prescrit, le rôle propre s’appuyant alors davantage sur les représentations liées à l’aide relationnelle (classes 1 et 4). Nous aurons l’occasion de développer cette analyse du discours étudié, sur la base des données recueillies dans la seconde phase d’investigation. Nous en viendrons à introduire la notion de rôle idéal, comme concept fécond pour analyser la dynamique de la pensée des intervenant-e-s sociales, comme les enjeux qui marquent l’interaction entre aidant-e et aidé-e.

L’analyse thématique fait apparaître que le rôle de l’aidant-e se définit comme principalement centré sur l’interaction aidant-e/aidé-e, interaction au sein de laquelle les compétences relationnelles et techniques sont majoritairement décrites – compétences qui apparaissent donc comme des références majeures pour l’identité professionnelle. Néanmoins, la pratique se caractérise par sa polyvalence, par la diversité des modalités selon lesquelles elle se déploie (compétences sociales et éducatives, également mises en œuvre). L’analyse Alceste fait davantage ressortir une vision éducative des pratiques, qui peut être rapportée à l’éthique humaniste, via la seconde classe qui met en évidence le discours sur une action sociale visant l’autonomie et le progrès social des personnes aidées. Néanmoins, si l’on additionne le poids des classes 1 et 4, qui concernent toutes deux l’aide relationnelle, celle-ci reste prépondérante au sein des entretiens analysés, comme point de référence du rôle de l’aidant-e.

De manière transversale aux différentes catégories et thèmes, comme par le biais de l’analyse Alceste, on constate que les participant-e-s s’attachent aux dimensions relationnelle et psychologique de l’aide à autrui, plus qu’aux dimensions sociale et économique. La visée d’évolution personnelle, ou de subjectivation(prise de conscience…), apparaît comme un idéal, comme l’horizon à atteindre dans les pratiques d’aide à autrui. Cette subjectivation concerne l’aidé-e bien sûr, mais l’aidant-e aussi, qui retire également de son rôle un bénéfice qualifié de « développement personnel » ou « d’enrichissement humain ».

L’ensemble des observations réalisée dans cette phase exploratoire de recherche nous conduit à dégager l’idée générale que les conceptions des pratiques d’aide à autrui, les représentations professionnelles du rôle et de sa visée, s’organisent autour de deux pôles : celui d’une perspective individuelle, où l’activité d’écoute et d’étayage invite et accompagne l’aidé-e dans une démarche introspective de “réflexion sur soi”, perçue comme la source possible d’une « évolution personnelle », d’une « réalisation » ; et celui d’une perspective sociale, où l’autonomie et la socialisation constituent la visée d’une activité plus pragmatique axée sur l’idée d’aider à « retrouver » ce que l’aidé-e a perdu : un travail, un logement, la santé, un ancrage social…