Préambule : Vision d’ensemble des résultats de l’analyse thématique

L’analyse thématique est une modalité privilégiée pour avoir une vision d’ensemble du contenu du discours, de manière exhaustive et synthétique à la fois. Le regroupement du discours au sein de catégories, thèmes et sous-thèmes permet d’observer, en dépassant la simple impression par un étayage méthodologique, les “lieux communs” du discours – au sens littéral de points de rencontre et au sens figuré de propos fréquemment tenus. Par ailleurs, elle offre la possibilité de synthétiser ces observations et ainsi, la possibilité de rendre compte, comme de rendre lisibles les résultats obtenus par cette méthode.

En premier lieu, observons dans leur ensemble les résultats de l’analyse thématique réalisée sur les entretiens menés à Rillieux-la-Pape dans leur ensemble : quelles sont les catégories les plus représentées ? Y a-t-il des différences remarquables entre le groupe des “conseiller-e-s en insertion” (CI), c’est-à-dire l’ensemble des praticien-ne-s travaillant au sein d’associations du champ de l’insertion, et le groupe des “assistantes sociales” (AS), c’est-à-dire l’ensembles des praticiennes diplômées en travail social, employées au sein du Conseil Général ? Tout au long de la présentation de nos résultats, nous mettrons en parallèle les résultats de ces deux catégories professionnelles, pour voir si le poste occupé, le contexte institutionnel, au sein duquel s’inscrit le travail, et la formation sont des facteurs qui influencent le discours des aidant-e-s rencontré-e-s, et dans quelle mesure. Autrement dit, cette comparaison permettra d’étudier l’ancrage sociologique des représentations professionnelles, d’observer les variations du discours selon la catégorie professionnelle à laquelle appartiennent les participant-e-s.

Dans le cadre de cette démarche de recherche qualitative, nous ne visons pas une généralisation de nos résultats, mais plutôt une transférabilité des analyses produites. Ainsi, nous mettrons les résultats observés dans ce second temps d’investigation en lien avec ceux obtenus sur le terrain de Givors, pour voir si les tendances générales comme les différences observées à Rillieux-la-Pape se reproduisent avec cet autre échantillon, ce qui permettra d’élargir le champ de notre observation : ces deux contextes différents permettent une triangulation des données.

Répartition du discours selon les catégories et thèmes (CI/AS, Rillieux-la-Pape)
Répartition du discours selon les catégories et thèmes (CI/AS, Rillieux-la-Pape)

Observons tout d’abord la répartition du discours selon les catégories :

La catégorie la plus représentée dans le discours est celle du rôle, ce qui n’est pas étonnant puisque l’un des trois axes d’entretien était spécifiquement centré sur cette question. La catégorie la moins développée est celle de l’interaction entre aidant-e et aidé-e. Par rapport à nos données givordines (cf deuxième partie), où cette catégorie représentait 13%129 du corpus, on observe que la proportion est identique, de même que pour le poids du contexte et du rôle qui restent relativement stable (contexte : 17% à Givors et à Rillieux ; rôle : 24% à Givors et 26% à Rillieux). Par contre, la catégorie “autres” est ici beaucoup moins représentée (4% contre 14% à Givors), au profit d’autres catégories qui sont davantage représentées : celles où sont regroupés les propos sur les aidé-e-s et les aidant-e-s. Ceci est lié, à notre sens, à l’évolution de notre guide d’entretien : le deuxième axe d’entretien130 amène à parler des personnes reçues, et le troisième axe131 amène les participant-e-s à parler d’eux/elles-mêmes.

A présent, quels écarts peuvent être repérés entre le groupe des assistantes sociales (AS) et le groupe des conseiller-e-s en insertion (CI) ?

Ecarts entre AS et CI concernant le poids de chaque catégorie (Rillieux-la-Pape)
Ecarts entre AS et CI concernant le poids de chaque catégorie (Rillieux-la-Pape)

De manière générale, le total du nombre d’occurrences est supérieur chez les AS que chez les CI : 555 occurrences par entretien en moyenne pour les AS contre 479 pour les CI. L’écart n’est pas très important, mais il traduit tout de même à notre sens le fait que, pour certain-e-s conseiller-e-s en insertion, une méfiance était présente. En effet, nous avons été introduite auprès de ces praticien-ne-s par l’intermédiaire du Conseil Général du Rhône, or cette structure fait partie des financeurs des associations au sein desquelles ils/elles travaillent. Leurs pratiques font l’objet d’évaluations régulières, et nous pensons que pour certain-e-s, notre indépendance vis-à-vis du Conseil Général n’était pas une certitude132. Ces enjeux institutionnels sont à prendre en compte. Ceci peut également expliquer le fait que les CI témoignent moins des difficultés qu’elles/ils rencontrent que les AS (60 occ. CI/ 127 occ. AS). Nous voyons bien, d’ailleurs, l’importance que revêt ce contexte du financement et du partenariat (contexte local) pour les CI : le nombre total d’occurrences pour ce thème est de 236, contre 75 pour les AS. Cette préoccupation est majeure pour les CI : le thème du contexte est le seul où le nombre d’occurrences est supérieur pour les CI, vis-à-vis des AS. De leur côté, les AS se spécifient par l’importance du thème de l’interaction dans leur discours : il y a là une différence très nette entre ces deux groupes, dont nous tenterons d’examiner les raisons au fil de l’observation de nos résultats.

Ce chapitre est plus particulièrement consacré aux éléments qui, dans les résultats observés, apportent une compréhension des représentations professionnelles du rôle repérables dans le discours. Les conceptions du rôle se lisent tout d’abord dans la description de l’activité (c’est-à-dire l’ensemble des actions que les aidant-e-s disent faire ou devoir faire), celle-ci devant être reliée à son contexte pour pouvoir être comprise. Par ailleurs, ce que l’on peut qualifier de “culture professionnelle”, c’est-à-dire l’ensemble des supports symboliques sur lesquels s’appuie la pratique professionnelle (visée générale de l’activité, valeurs, définition de la professionnalité…), est également un révélateur des conceptions du rôle de l’aidant-e profesionnalisé-e. Celui prend en effet un sens (une signification et une direction) en s’appuyant sur ses dimensions :

  • pratique – en tant qu’exercice d’une activité, d’une part ;
  • et symbolique – en tant qu’ensemble de significations générales soutenant l’activité, d’autre part.

Nous aborderons donc chacun de ces points pour faire émerger, au fur et à mesure de notre exploration de ces aspects, les conceptions du rôle qui traversent les entretiens.

Notes
129.

Dans le texte, nous arrondissons les pourcentages à l’unité, pour plus de lisibilité.

130.

« Racontez une expérience où, pour vous, l’aide a bien fonctionné, et pourquoi, et au contraire, une expérience où cela n’a pas bien fonctionné, et là aussi, expliquez pourquoi, selon vous. »

131.

« Qu’est-ce qui vous amène à exercer ce métier ? »

132.

Ce qui nous a d’ailleurs amenée à préciser cette indépendance par la suite.