I. Modalités de description de l’activité

a. Prédominance des compétences techniques et relationnelles

Avant d’examiner les résultats obtenus à Rillieux-la-Pape, observons tout d’abord les résultats pour l’ensemble des propos tenus, à Givors et à Rillieux133, où la nature de l’activité professionnelle se décrit selon la mise en œuvre de compétences relationnelles, techniques, sociales, et éducatives (les autres modes de description n’apparaissent pas dans ce tableau).

Effectif et nombre d’occurrences pour chaque type d’activité sur l’ensemble des entretiens
Effectif et nombre d’occurrences pour chaque type d’activité sur l’ensemble des entretiens effectif = nombre de participant-e-s pour lesquel-le-s une occurrence au moins apparaît dans le sous-thème. Nb. occ. = nombre total d’occurrences pour le sous-thème. (CI/AS, Givors et Rillieux)

Ces résultats concernent les quatre sous-thèmes que nous avions définis précédemment, au cours de la phase exploratoire de recherche : ils comprennent l’activité décrite relevant de compétences de type relationnelles, techniques, sociales et éducatives135. Les autres types d’activité ne pouvant être rattachés à aucun de ces sous-thèmes sont minoritaires, et ne figurent pas ici : nous cherchons à observer comment se répartit le discours selon ces quatre sous-thèmes, pour déterminer comment se définit l’identité professionnelle (en partie) autour de ces quatre pôles, largement prépondérants dans le discours étudié (71% de l’ensemble des occurrences classées dans le thème).

On remarque que les compétences techniques sont l’aspect de l’activité le plus développé (469 occurrences), viennent ensuite les compétences relationnelles (378), les compétences sociales (221), et enfin les compétences éducatives (180). Ces résultats, pour l’ensemble de nos données, confirment la tendance générale observée dans la phase exploratoire de recherche : la description d’activités relationnelle et technique domine dans le discours. Les données rillardes amènent cependant à ce que l’activité technique prenne une plus grande part dans le discours (27% de l’ensemble des propos classés dans le thème de l’activité à Rillieux-la-Pape, 24% à Givors), vis-à-vis de l’activité relationnelle (20% à Rillieux-la-Pape contre 29% à Givors). Nous allons voir que ce sont les conseiller-e-s en insertion qui développent le plus l’aspect technique de leur pratique. Les graphiques ci-dessous indiquent la proportion de chaque type de compétence au regard des quatre aspects spécifiques de l’activité que nous avons identifiés :

Proportion de chaque type de compétences (Givors et Rillieux)
Proportion de chaque type de compétences (Givors et Rillieux)

Nous pouvons remarquer qu’il y a une différence entre les assistantes sociales et les conseiller-e-s en insertion : ces dernier-e-s revendiquent davantage une activité s’appuyant sur des compétences techniques, tandis que les AS parlent davantage des compétences sociales qu’elles mettent en œuvre. L’identité professionnelle, si elle s’appuie sur des aspects communs à ces deux groupes, principalement les compétences techniques et relationnelles, diffère néanmoins par l’importance que revêt l’un ou l’autre type de compétences dans la description de l’activité.

Afin de mieux comprendre ces résultats, observons plus finement quel est le contenu de ce premier thème, concernant l’activité décrite dans les entretiens, à Rillieux-la-Pape. Au-delà de l’activité faisant appel à des compétences relationnelles, techniques, sociales et éducatives, une activité non spécifique à ces quatre types de compétences est décrite dans les entretiens : elle correspond par exemple au fait d’établir un « plan d’action »136 (définir des objectifs concrets, établir des « étapes de parcours »…), au fait de s’adapter aux personnes rencontrées, au fait de « laisser faire » les personnes, au fait de « renvoyer leur responsabilité » aux aidé-e-s, etc. Ces différentes activités ne pouvant être rattachées aux quatre sous-thèmes précédents, elles apparaissent comme transversales. Dans le graphique et le tableau récapitulatifs ci-dessous, nous avons fait figurer les quatre aspects les plus représentés de ces compétences transversales :

Résultats pour le thème des activités développées (CI/AS, Rillieux-la-Pape)
Résultats pour le thème des activités développées (CI/AS, Rillieux-la-Pape)
Résultats pour le thème des activités développées (CI/AS, Rillieux-la-Pape)
Résultats pour le thème des activités développées (CI/AS, Rillieux-la-Pape)

On observe dans le tableau ci-dessus que les AS insistent plus que les CI sur le fait d’adopter un plan d’action : ces aspects “méthodologiques” sont davantage développés. Ceci peut s’expliquer par le fait que cette méthodologie est acquise dans le parcours de formation, comme en témoigne cette assistante sociale :

‘« Tout ce qu'on apprend à l'école, hein, en formation, on va recueillir les données de la situation, donc précises, concrètes, c'est un couple avec trois enfants, quel âge, ils sont scolarisés à tel endroit, Monsieur travaille, etc. et puis il y a toute une partie un peu donc quel est le problème? enfin en gros je pense qu'on fait... Enfin je fais un peu comme ça dans ma tête, euh... Un peu la... Enfin le... L'analyse. Donc essayer de dire si Monsieur est comme ça, c'est peut-être parce que... Ben poser des hypothèses et cetera. Et puis le plan d'action. » (Mme C., AS)’

Par ailleurs, les AS développent plus, également, l’idée de « laisser faire » les personnes elles-mêmes, et celle de les « renvoyer à leurs responsabilités ». Ces deux idées se rejoignent si l’on considère que leur visée commune tend à ce que la personne soit “actrice de son destin”.

‘« Quand on fait des demandes RMI, moi je dis aux personnes : à votre avis, pourquoi vous en êtes arrivés à demander le RMI. Qu'est-ce qui fait que... Euh ... Qu'est-ce qui fait la dégringolade, en fait, en quelque sorte, hein. Donc euh... Je veux dire, je pense que c'est important de renvoyer toujours aux personnes... (…) Pourquoi ils en sont arrivés là, euh... Qu'est-ce qui... Qu'est-ce qu'il en est, que ce soit de leur responsabilité ou pas de leur responsabilité, ça peut être des responsabilités internes, ça peut être des responsabilités externes, mais euh... » (Mme L., AS)’ ‘« Petit à petit j'ai aussi appris du coup à renvoyer leur responsabilité là-dedans, et du coup à cerner où était ma responsabilité, la leur, et que... Voilà. » (Mme Bb., AS)’ ‘« Donc voilà, il y a un moment donné où on est obligé de renvoyer les gens face à leurs choix et à leurs responsabilités quoi. Et je pense qu'on est... Enfin, je suis pas dans l'assistanat quoi. » (Mme A., AS) ’

Dans le même temps, les AS parlent davantage de l’écoute qu’elles mettent en œuvre dans leur pratique (48 occ. contre 24 pour les CI), et plus largement, des compétences relationnelles utilisées. L’activité de type social prend également une place plus grande dans leur discours.

Dans le discours des CI, les compétences techniques sont davantage représentées que les compétences relationnelles, sociales et éducatives. Ceci est spécifique à ce groupe, car dans les propos des AS, les compétences relationnelles et techniques ont le même poids. Ce sont donc les conseiller-e-s en insertion qui revendiquent avant tout l’aspect technique de leur activité. Ce résultat peut paraître paradoxal, au regard du fait que les CI ont eu peu (ou prou) de formation dans le champ de pratique qui est le leur. Les compétences techniques particulièrement développées dans le discours des CI sont celles du diagnostic, de l’évaluation et celles de l’apport de solutions et d’informations. Ainsi, la formation en travail social apparaît ici comme ne favorisant pas une identité professionnelle basée sur les compétences techniques, mais plutôt l’importance donnée aux compétences relationnelles.

Notes
133.

Avant de présenter ces résultats, précisons que la grille d’analyse des entretiens que nous avions utilisée pour les entretiens conduits à Givors a évolué : si les principales catégories demeurent à l’identique pour l’analyse des entretiens conduit à Rillieux, nous avons dû adapter quelque peu notre grille. Les entretiens étant plus longs et plus nombreux, ceci nous a conduite à affiner la grille d’analyse : nous avons élaboré de nouveaux sous-thèmes quand nous pouvions regrouper des éléments auparavant disparates, et ainsi, l’ensemble de la grille s’est vue étoffée. Néanmoins, ceci n’empêche pas la mise en relation avec les données précédentes puisque les catégories et thèmes existant précédemment sont restés les mêmes, et que la plupart des sous-thèmes étaient déjà représentés dans le corpus givordin.

134.

effectif = nombre de participant-e-s pour lesquel-le-s une occurrence au moins apparaît dans le sous-thème. Nb. occ. = nombre total d’occurrences pour le sous-thème.

135.

Rappel de la définition des sous-thèmes : “Compétences relationnelles” : activité qui vise à établir et à maintenir un lien, à développer les échanges, la communication, de manière quantitative et qualitative, ainsi qu’à une activité de soutien moral. “Compétences techniques” : mise en œuvre d’un savoir technique, qui est mis à la disposition de la personne aidée. “Compétences sociales” : usage de connaissances sur la structure sociale, rôle de médiation. “Compétences éducatives” : transmission de normes, de règles ou de valeurs.

136.

Les termes entre guillemets (« ») sont ceux employés par les participant-e-s eux-mêmes, afin de rester, à ce niveau, au plus près des catégories de pensée utilisées par les praticien-ne-s de l’aide à autrui.