I. L’aide relationnelle

Classe 1 de l’analyse Alceste des entretiens conduits à Rillieux-la-Pape
Classe 1 de l’analyse Alceste des entretiens conduits à Rillieux-la-Pape

En ce qui concerne les variables illustratives166 de la classe 1R, qui permettent de repérer son ancrage sociologique, on remarque que c’est plutôt le groupe des assistantes sociales qui est caractérisé par cette classe (Khi2 = 205.04)167, et parmi celles-ci, les AS ayant obtenu leur diplôme entre 2000 et 2005 (Khi2 = 244.71). Mme A. (Khi2 = 92.89) et Mme C. (Khi2 = 79.77) sont les participantes qui contribuent le plus à cette classe. Néanmoins, des AS plus âgées y contribuent également, ainsi que des conseillères en insertion, à un plus faible niveau (Mme M., 8.96 ; Mme E., 4.04 ; Mme P., 3.16). On notera que ces dernières se voient confier des mesures ASI168, correspondant davantage à un travail relationnel avec les aidé-e-s169.

Cette classe est la plus “hétéroclite”, du point de vue des participant-e-s qui y contribuent, ce qui indique que les propos qu’elle rassemble sont un “monde lexical” partagé par les AS et les CI (a minima celles dont la pratique inclut un accompagnement dans le cadre de mesures ASI).

On voit que cette classe regroupe le discours sur le travail relationnel qui se met en œuvre dans les pratiques : les verbes « dire » et « écouter » traduisent cette forme de l’activité. Par ailleurs le mot « entre » est le mot outil le plus représentatif de la classe. Afin de mieux comprendre ce que ces verbes signifient dans le contexte des entretiens, observons le “contexte lexical” qui les entoure, en nous appuyant sur la classification hiérarchique ascendante que réalise le logiciel Alceste :

On comprend alors qu’il s’agit d’essayer d’écouter, d’entendre ce qu’expriment les aidé-e-s pour leur apporter une aide. Dans un second temps, l’aidant-e va donner des conseils, leur dire d’aller faire quelque chose, par exemple :

Mme H. évoque ce processus :

‘« Alors c'est pas expliqué comme ça, parce qu'on élabore en discutant avec eux, mais voilà après... j'essaye... dans ma tête c'est qu'est-ce que... Qu'est-ce que je peux proposer pour qu'à un moment donné quelque chose puisse émerger. » (Mme H., AS)’

Ce travail relationnel apparaît comme reposant sur l’intuition et l’affectivité, plus que sur un raisonnement rationnel (cf. présence des mots « impression » et « sentiment »). Par ailleurs, l’existence d’une relation de confiance est associée, dans le discours à cette modalité de travail intuitive :

Mme A. témoigne de l’importance du « ressenti » dans sa pratique :

‘« Je sens que c'est important, et que derrière il se cache quelque chose pour que je comprenne un peu ce qui se passe, j'ai pas d'exemples précis en tête, mais... Et puis c'est beaucoup au ressenti quoi, mais voilà, il faut que je comprenne ce qui se passe » (Mme A., AS)’

Comme l’indique Mme A., la visée de compréhension est centrale. D’après l’analyse Alceste, le verbe « comprendre » est le plus fréquemment associé au verbe « arriver », ce qui montre que l’élucidation se donne comme un horizon à atteindre ; par ailleurs, la présence du mot « sens » dans les formes représentatives de la classe corrobore cette interprétation. Pour l’aidé-e comme pour l’aidant-e, il s’agit de comprendre les tenants et aboutissants de la situation :

‘« Je veux dire nous, on a une distance par rapport à la situation donc je trouve que c'est important de leur renvoyer euh... Enfin de leur renvoyer, de les aider à prendre un certain recul par rapport à la situation. Pour comprendre leurs situations. » (Mme L., AS)’

L’idée d’une démarche maïeutique est donc, comme dans les données givordines, bien présente. Est-ce cette aide relationnelle que les « gens » peuvent « trouver » dans cette modalité de travail, selon les participant-e-s ?

Tel est en tout cas le point de vue de Mme Cc. :

‘« Elles y trouvent en tout cas quelqu'un qui va les écouter, qui peut rebondir sur ce qu'elle dit, qui peut les conforter ou pas, dans ce qu'elles ont pu faire ou mettre en place, qui peut éventuellement leur suggérer... Mais même pas, il y a des fois on a rien à suggérer, juste à écouter et à être présent. » (Mme Cc., AS)’

Comme nous l’avions déjà remarqué dans les résultats de l’analyse Alceste des entretiens givordins (classe 1G), une indétermination flotte dans ce discours (« y », « chose », « impression »). Cette première classe (1R) est par ailleurs très proche, dans son contenu et son champ lexical, de celle mise en lumière dans l’analyse précédente. Les termes « gens, moment, chose, aller, arriver, faire » sont communs aux formes représentatives de la classe 1 repérée dans les données givordines. Par ailleurs, les termes « écouter, fois, envie » sont communs avec la quatrième classe de cette analyse. Nous pouvons donc penser que la classe 1R observée ici “synthétise” le contenu qui était précédemment réparti entre les classes 1G et 4G obtenues dans l’analyse antérieure (et dont nous avions remarqué la proximité).

Il est donc intéressant de voir la constance de ce discours sur une activité d’ordre relationnel (écoute, parole) qui se donne pour visée l’élucidation (cf. la « prise de conscience » à Givors), dans le cadre d’une relation de confiance. La temporalité a dans ce contexte un statut particulier, celui du « moment », indiquant par là que ce travail s’inscrit dans l’instant présent, dans une « petite division de temps » (Dictionnaire étymologique Larousse, 2001, p. 483). La présence du mot « envie » est sans doute à relier à ce vécu de l’instant présent, mais aussi à la “perspective individuelle” à laquelle cette centration sur la dimension subjective correspond. Notons finalement que cette classe (1R) représente à elle seule 57,6% du corpus pris en charge dans l’analyse (42,5% de l’ensemble du corpus), ce qui constitue un poids tout à fait comparable à celui que les classes 1G et 4G prenaient dans l’analyse précédente (47% du corpus pris en charge).

Notes
166.

Nous avons intégré dans l’analyse, via une « ligne étoilée » au début de chaque entretien, différentes variables afin de voir dans quelle mesure ces variables (profession, lieu d’exercice, nombre d’années de pratique de la profession, âge, plus le diplôme et sa date d’obtention pour les AS, le type de mesure dans le cadre desquelles s’effectue l’intervention (“RMI-PLIE”, “PLIE seul”, “ASI”…) pour les CI) sont liées à chacune des classes dégagées par l’analyse. Notre échantillon de participant-e-s ne comprenant qu’un seul homme, nous n’avons pas introduit la variable sexe dans l’analyse.

167.

Le test du Khi2 vise à mettre en lumière les liaisons existantes (ou pas) entre les données : ainsi, le Khi2 élevé de la variable “assistantes sociales”, associée à la première classe, montre qu’il existe un lien fort entre le discours regroupé dans cette classe et le groupe des AS : les AS (via les u.c.e. issus de leur discours) contribuent fortement à la classe. L’ensemble des variables illustratives de chaque classe peut être examiné dans le rapport résumé d’analyse (joint dans les annexes).

168.

“Appui Social Individualisé”

169.

« Je m’occupe à la fois des mesures ASI et à la fois du RMI, donc c’est deux publics euh… différents, parce que la mesure ASI c’est vraiment euh… des personnes qui ont un gros, un gros frein, par rapport à l’emploi et puis ça peut être des problèmes… psychologiques… » (Mme M., CI)