B) Spécificités des deux groupes professionnels

I. Les assistantes sociales

Cette analyse prend en charge 81,42% du corpus, ce qui la rend également fiable. Trois classes sont dégagées dans l’ensemble des entretiens des assistantes sociales. Afin de les distinguer des classes issues des corpus précédents, nous les désignerons de la manière suivante : classe 1 = 1R’, classe 2 = 2R’ et classe 3 = 3R’.

Analyse spécifique au corpus des entretiens menés avec les assistantes sociales (Rillieux-la-Pape)
Analyse spécifique au corpus des entretiens menés avec les assistantes sociales (Rillieux-la-Pape)

La première classe (1R’, 27% du corpus pris en charge dans l’analyse) correspond à une partie du discours précédemment regroupé au sein de la quatrième classe (4R) : « social, assistant, conseil, général, polyvalence » y sont communs. Et en effet, il s’agit du discours explicitant les missions et le cadre institutionnel au sein desquels les pratiques s’inscrivent. Les assistantes de service social du Conseil Général du Rhône rencontrées travaillent en effet dans le cadre de la « polyvalence de secteur », ce qui explique la présence de ces deux termes dans les formes représentatives de la première classe171. Ainsi, ce discours se trouvait, dans l’analyse globale des entretiens observée précédemment, pris en charge dans la quatrième classe, ou était éliminé de l’analyse, et cette analyse spécifique aux AS permet de mettre en lumière que cette classe qui concerne l’explicitation du contexte des missions représente 22% de l’ensemble du corpus.

La deuxième classe (2R’) concerne, comme dans l’analyse de l’ensemble des données recueillies à Rillieux (classe 2R), la mission de « protection de l’enfance » (segment répété à 18 reprises dans la classe). Par contre, il est étonnant que cette classe prenne une part plus réduite ici (7%) qu’auparavant (12%), alors que l’effectif est exclusivement composé d’assistantes sociales… On s’attendrait donc à ce que le poids de cette classe soit, au contraire, plus important.

Ceci nous permet de comprendre qu’au-delà de la mission de protection de l’enfance, c’est l’ensemble du discours sur la famille qui se trouvait inclus dans la deuxième classe (2R) de cette analyse : « enfant, fille, mère » étaient les formes les plus représentatives de la classe, alors qu’ici, c’est le « signalement » qui est la forme la plus représentative de la classe. Ceci s’explique par le fait que les AS travaillent davantage avec les familles (c’est en effet l’aide sociale aux familles et la protection de l’enfance qui sont traditionnellement172 confiées aux Conseils Généraux), tandis que les CI s’adressent à des individus.

La troisième classe (66% du corpus pris en charge dans l’analyse) correspond en grande partie, dans son contenu, à la première classe de l’analyse globale du corpus de Rillieux (classe 1R), c’est-à-dire à la figure de l’aide relationnelle. Les termes « moment, donner, chose, fois, aller, dire, arriver, impression » qui figuraient dans les formes représentatives de cette dernière se retrouvent être les plus représentative de cette troisième classe (3R’). Les « trucs » dont il est question sont liés à ce qui s’exprime dans le bureau (des émotions) quand l’espace de la rencontre est investi, qu’un lien se crée (ce qui conduit à se revoir dans un mois, dans une semaine…) :

L’expression d’une affectivité est reliée à l’existence d’une relation de confiance, ceci permettant de réussir à trouver des solutions :

C’est pourquoi il est important, pour les assistantes sociales rencontrées, que des choses soient racontées, dites dans le cadre de ces rendez-vous :

Les AS contribuant le plus à cette classe sont celles ayant obtenu leur diplôme entre 2000 et 2005, comme nous l’avions constaté précédemment. Il est intéressant de rapporter cela à la publication, en 1996, du rapport sur L’intervention sociale d’aide à la personne, par le Conseil Supérieur du Travail Social. Ces AS appartiennent donc à une génération de praticien-ne-s marqué-e-s par cette orientation de la pratique. La publication de ce rapport témoigne de l’évolution du champ des pratiques d’aide à autrui, analysée par Isabelle Astier, dans Les nouvelles règles du social :

‘« Pour un nombre sans cesse croissant d’agents, travailler ne consiste plus à obtenir le consentement des sujets de leur intervention à des valeurs générales mais à les accompagner dans la construction de leur identité personnelle » (2007, p. 9) ’

De manière plus ou moins explicite, la construction de l’individu, la “production de soi”, apparaît comme passant par le fait de “se raconter” :

‘« Du coup elles savent qu’elles peuvent euh… nous raconter tout ce qu’elles ressentent quoi.
- INT : Et d’après vous, euh… quelle utilité, bon c’est peut-être pas un très joli mot mais euh… quelle utilité ça a pour les personnes de euh… vous raconter les choses comme ça ?
- Mme B. : Ben d’une part, ça peut permettre de leur faire réfléchir exactement où elles en sont dans leur vie, parce que pouvoir raconter les choses c’est du coup, elles arrivent, à un moment donné, à se structurer déjà en pensée… » (Mme B., AS)’ ‘« Là, maintenant, on est… on est plus à l’écoute des gens. Ils ont des droits, on doit respecter leurs droits et c’est très important de le faire. Et ça… ça va aussi dans la construction de l’individu. » (Mme J, AS)’ ‘« C'est tout ce travail d'aide à la personne mais plus ce travail... De reconstruction, de prise de conscience, travailler avec l'usager. » (Mme F., AS)’

Si ce mode de pensée est explicitement soutenu en 2001 par le rapport du Conseil Supérieur du Travail Social, nous voyons avec les propos de Mme J., qui est dans la tranche d’âge des 35-40 ans, et Mme F., dans celle des 55-60 ans, que cette rationalité est présente chez ces praticiennes qui ont obtenu leur diplôme antérieurement. Le fait que la troisième classe (3R’) représente 53% de l’ensemble du corpus regroupant les entretiens des AS montre d’ailleurs bien l’aspect consensuel de cette aide relationnelle, et le fait qu’elle est l’objet d’une large verbalisation. A présent, observons les résultats de l’analyse obtenus par le traitement du logiciel Alceste spécifiquement réalisé sur les entretiens des conseiller-e-s en insertion.

Notes
171.

Par ailleurs « assistant+ socia+l » (94 occurrences), « travail< socia+l » (38 occ.), « Conseil Général » (29 occ.), font partie des segments répétés repérés dans la classe, comme dans le corpus givordin.

172.

La “compétence RMI” a été transférée aux départements le 1er Janvier 2004, cette mission est donc récente pour les AS des Conseils Généraux.