II. Vue d’ensemble

Pour conclure cette partie consacrée aux modèles d’aide à autrui professionnalisée repérables au travers de l’interprétation des mondes lexicaux que dégage l’analyse Alceste, interprétation soutenue par l’analyse de contenu précédemment réalisée, nous allons finalement observer les résultats obtenus par un traitement de l’ensemble des entretiens (givordins et rillards confondus174). Ceux-ci attestent de la cohérence des résultats issus de nos deux terrains d’investigation, dont nous avons pointé les similitudes précédemment, et les quelques variations observables. Nous avions remarqué que les première et quatrième classes issues du corpus givordin (1G et 4G) se “rassemblaient” dans la première classe (1R) repérée dans les données de Rillieux-la-Pape. Par ailleurs, la deuxième classe givordine (2G) se “partageait”, dans le second corpus, entre les deuxième et quatrième classes (2R et 4R). Cette observation se confirme dans le fait que l’analyse de l’ensemble des entretiens, prenant en charge 57, 24% du corpus175, conduit à dégager trois classes :

Représentation graphique de l’AFC (analyse Alceste de l’ensemble des données : Givors et Rillieux)
Représentation graphique de l’AFC (analyse Alceste de l’ensemble des données : Givors et Rillieux)

Les classes de cette analyse d’ensemble seront caractérisées par un « E ».

Là encore, l’inertie de la troisième classe (3E, en bleu) indique qu’elle est peu spécifique, la deuxième classe (2E, en vert) caractérisant davantage le discours des assistantes sociales (Khi2 = 97.74 pour la variable AS) et la première classe (1E, en rouge) celui des conseiller-e-s en insertion (Khi2 = 468.70 pour la variable CI). Cette première classe est par ailleurs davantage ancrée dans le corpus rillard (variable Rillieux-la-Pape : Khi2 = 179.32), et la seconde dans le corpus givordin (variable Givors : Khi2 = 312.56)176. Ces résultats montrent donc que le discours sur l’aide relationnelle (classe 3E) est le plus consensuel, qu’il est transversal au lieu d’exercice et à la profession, même si les AS contribuent davantage à cette classe (Khi2 = 215.17 pour cette variable, mais des entretiens avec des conseiller-e-s en insertion appartiennent également aux variables illustratives de la classe 3E).

Les première et deuxième classes étant très proches (dans le contenu de leurs formes représentatives) de celles examinées précédemment dans l’examen des résultats pour le corpus de Rillieux-la-Pape, elles ne nous apprennent rien de nouveau, mais les formes représentatives de la troisième classe apportent des précisions.

Troisième classe de l’analyse d’ensemble (Givors et Rillieux-la-Pape)
Troisième classe de l’analyse d’ensemble (Givors et Rillieux-la-Pape)

La première chose remarquable est que la notion d’aide, sous ses formes lexicales de verbe et de nom commun, apparaît ici comme clairement reliée à la figure de l’aide relationnelle. D’autre part, l’aspect existentiel du monde lexical de cette troisième classe se manifeste de manière très visible : les termes « sens », « vie », « comprendre », « important » (terme associé à celui de « chose » et se situant dans l’entourage du terme « parler », dans la classe), montrent la place centrale de l’expérience subjective dans ce mode de rationalité, et plus particulièrement de son expression par les personnes aidées (« dire », mais aussi « raconter », « livrer », « exprimer » dans les formes caractéristiques dont le Khi2 est inférieur à 40, tout en étant significatif à p=0,05), l’aidant-e déployant une activité d’écoute, dans une posture empathique (Khi2 « empathi+ » = 23). Le terme d’ « écoute » occupe, dans tous les contextes (à Givors et à Rillieux-la-Pape ; celui de la pratique des CI et celui des AS), une place de choix dans les formes représentatives des classes regroupant le discours centré sur l’aide relationnelle : cette notion se manifeste donc comme un point nodal, en tant que « point de rencontre de plusieurs cheminements » (sens topographique du concept de point nodal, selon le Trésor de la Langue Française), de ce discours.

L’analyse Alceste permet donc d’étayer les observations réalisées dans le cadre de l’analyse de contenu, mais aussi d’apporter des informations complémentaires. Nous avons vu que le discours des intervenant-e-s sociaux rencontré-e-s s’articule autour de deux principales composantes, correspondant à des modes de rationalité distincts. Par ailleurs, nous avons observé que l’aide relationnelle apparaît comme le cœur de la pratique177, qu’elle correspond davantage au rôle idéal, tandis que l’aide technique, dans une perspective sociale reliée aux missions et au cadre institutionnel, est plutôt du côté du rôle prescrit, accompli de plus ou moins bonne grâce. L’aide relationnelle, marqué par la socialité primaire, apparaît comme étant celle qui apporte une satisfaction personnelle, tandis que l’aide technique et/ou éducative se présente davantage, dans les entretiens, comme un rôle prescrit par l’institution, dans le champ de la socialité secondaire, auquel l’aidant-e souscrit plus ou moins tout en s’y conformant parallèlement au développement de l’activité de type relationnelle. Ces observations nous permettent de saisir l’ancrage psychosociologique des représentations professionnelles dans ce contexte des rapports sociaux. Nos résultats viennent donc soutenir l’hypothèse formulée à l’issue de la phase exploratoire : les représentations du rôle idéal sont liées à la perspective individuelle, à l’aide relationnelle, tandis que le rôle prescrit se rattache à la perspective sociale dans laquelle s’inscrit l’aide technico-éducative.

Suite à l’exploration, dans un premier temps, des conceptions du rôle de l’aidant-e professionnalisé-e, au travers de l’analyse de contenu des propos tenus sur la pratique (activité développée, ses visées, définition de la professionnalité), puis suite, dans un second temps, à l’enrichissement de ces observations par leur croisement avec les résultats d’une analyse Alceste (qui ouvre une perspective plus large sur la structure du discours dans son ensemble), nous allons aborder, dans un troisième temps, la question de l’interaction aidant-e/aidé-e.

Notes
174.

Le lieu de recueil des données est néanmoins identifié dans la « ligne étoilée » précisant l’identité des participant-e-s, leur profession, lieu d’exercice, âge et expérience (nombre d’année de travail) dans leur profession.

175.

Compte tenu de la taille importante du corpus, ce pourcentage reste satisfaisant.

176.

Cette forte contribution du corpus givordin à la classe 2E est lié au discours d’une participante qui, bien que n’étant pas AS, développe longuement un propos sur la famille (le Khi2 calculé pour la variable de son entretien s’élève à 518.34, ce qui explique par ailleurs le Khi2 relativement bas de la variable AS pour cette classe 2E : au regard des résultats concernant le seul corpus rillard, on se serait attendu à ce qu’il soit plus élevé). Cf. rapport résumé de l’analyse dans les annexes.

177.

En ce qu’elle apparaît comme centrale, mais aussi comme le rôle idéal que les praticien-ne-s aiment ou aimeraient jouer.