Préambule : Modalités de description des caractéristiques de la relation et des processus à l’œuvre dans l’interaction

Pour aborder les enjeux à l’œuvre dans l’interaction aidant-e/aidé-e, tels qu’ils se donnent à voir à partir du témoignage des praticien-ne-s rencontré-e-s, nous ferons appel en premier lieu aux résultats issus de l’analyse thématique concernant la catégorie dans laquelle nous avons regroupé les propos tenus à propos de l’interaction178, décrivant sa nature (ce qui caractérise l’état de la relation) d’une part, et sa dynamique (les processus qui la traversent) d’autre part.

Ainsi, nous avons, de même que précédemment, organisé la catégorie de “ l’interaction ” autour de deux thèmes : en premier lieu, nous avons regroupé dans le thème des “ caractéristiques de la relation ” les propos qui qualifient la nature de la relation aidant-e/aidé-e, son état à un instant donné ; par ailleurs, nous avons rassemblé le discours qui porte sur les “ processus à l’œuvre ” au sein de l’interaction, c’est-à-dire sur ce qui se produit entre aidant-e et aidé-e. Cette distinction179 entre l’état et les processus de l’interaction permet une plus grande finesse de l’analyse. Tout d’abord, observons quelles caractérisations de la relation traversent le discours des praticien-ne-s interrogé-e-s à Rillieux :

Caractérisation de la relation
Caractérisation de la relation Ne figurent dans le tableau que les types de caractéristiques qui nous ont semblé intéressantes à observer, les autres caractéristiques existant dans notre grille d’analyse étant regroupées dans le sous-thème “ autres ”. (CI/AS, Rillieux-la-Pape)

Les assistantes sociales verbalisent davantage leur point de vue sur les caractéristiques de la relation, ce qui témoigne de l’attention qu’elles portent à l’état de la relation entretenue avec une personne qui les sollicite. Ceci est congruent avec la part importante des compétences relationnelles dans leur identité professionnelle (que nous avons observée précédemment).

On remarque également que si la tonalité des relations avec les aidé-e-s est majoritairement positive (confiance et compréhension), les AS évoquent plus souvent que les CI des relations de nature conflictuelle ou marquées par l’incompréhension. Ceci signifie-t-il que les AS perçoivent davantage de conflits avec les aidé-e-s, ou que les CI ne verbalisent pas l’idée qu’un conflit est présent, ce qui pourrait indiquer que cette idée fait l’objet d’un refoulement ? L’analyse thématique du discours portant sur les processus à l’œuvre (cf. tableau ci-après) va nous permettre d’appuyer l’une de ces deux hypothèses.

On observe que l’aspect le plus présent dans ce thème des processus à l’œuvre est celui qui concerne le lien qui s’établit entre aidant-e et aidé-e, et dans ce sous-thème, c’est plus particulièrement les moments « d’échange » et de « dialogue » qui sont décrits. Ensuite, les participant-e-s évoquent des moments de conflit, le plus souvent dans sa forme latente d’un « décalage » 181 entre les deux protagonistes, puis dans sa forme “ouverte” d’une crise qui émerge au sein de la relation. Le troisième processus le plus décrit est celui de la collaboration, ce travail commun pouvant prendre la modalité de la co-construction182 de « solutions » ou celle de la contractualisation (autour d’objectifs, d’actions…). Sont repérés par les participant-e-s également des moments de « blocage », où rien ne change, où l’aidé-e se désengage de ce qu’il/elle avait investi précédemment, où aucune solution n’émerge face aux problèmes repérés par l’aidant-e. Enfin, les praticien-ne-s interrogé-e-s parlent de la mise en œuvre de processus de subjectivation, où l’aidé-e arrive à une « prise de conscience », à « faire un deuil », à « s’interroger » sur elle/lui-même, ses choix…

Le profil des résultats se montre, ici, assez différent de ceux obtenus à Givors : l’évolution du guide d’entretien, sollicitant la narration d’expériences professionnelles, amène à ce que ce thème prenne une part plus importante dans le corpus, et la position de parole impliquée génère, comme nous avons pu le voir à propos de la description de l’activité, l’expression d’aspects moins fréquemment évoqués dans un discours modal.

Description des processus à l’œuvre dans l’interaction (CI/AS, Rillieux-la-Pape)
Description des processus à l’œuvre dans l’interaction (CI/AS, Rillieux-la-Pape)

On voit donc toute la variété des processus décrits dans les entretiens, parmi lesquels ressort l’importance de la communication et de l’investissement mutuel du lien, de la démarche d’accompagnement. Les assistantes sociales développant beaucoup plus ce thème des processus que les conseiller-e-s en insertion, observons quel est le poids de chaque sous-thème par rapport à l’ensemble des occurrences du thème, pour chaque groupe :

Graphique illustrant le poids pour chaque processus décrit concernant l’interaction (AS/CI, Rillieux-la-Pape)
Graphique illustrant le poids pour chaque processus décrit concernant l’interaction (AS/CI, Rillieux-la-Pape)

Notes
178.

Ce qui ne signifie pas que seule cette catégorie de la grille d’analyse nous renseigne sur l’interaction aidant-e/aidé-e : elle est un élément, parmi d’autres, qui renseigne sur la manière dont cette interaction est perçue et vécue par les intervenant-e-s rencontré-e-s, et ainsi, renseigne sur ce qui peut s’y jouer, sur les modalités du rapport à l’autre dans le contexte d’aide à autrui et sur les dynamiques qui peuvent s’y développer.

179.

Nous nous appuyons sur les verbes employés (verbes d’action ou verbes d’état) pour discriminer l’appartenance à l’un ou l’autre thème. Les propos où il est déclaré que la relation « était conflictuelle » sont classés dans la caractérisation, tandis que ceux où le déroulement du conflit est décrit sont regroupés dans le thème des processus, par exemple.

180.

Ne figurent dans le tableau que les types de caractéristiques qui nous ont semblé intéressantes à observer, les autres caractéristiques existant dans notre grille d’analyse étant regroupées dans le sous-thème “ autres ”.

181.

« J’pense qu’il y a quand même… assez souvent un décalage entre ce que les personnes entendent et ce que nous on leur propose. » (Mme L., AS). Le conflit, ici, n’est pas déclaré, mais latent. Ce que nous nommons “crise de la relation” correspond par contre aux propos où le conflit se manifeste ouvertement : « Non mais c'est... Et on avait beau lui dire ça, elle, tout de suite elle était là... Elle s'énervait comme une... Elle était dans un état d'én... d'excitation et de... Et pour nous, pour elle, on était la cause de son divorce. » (Mme Bb., AS).

182.

Ce terme, que nous empruntons au champ théorique des démarches de recherche-action, désigne une modalité de travail collectif (ne serait-ce qu’à deux) où ce qui se construit est le fruit d’une mise en commun des connaissances et compétences de chacun-e dans l’interaction, et ne peut ainsi être désigné comme appartenant à l’un-e ou de l’autre mais à l’espace commun où se co-construit une solution, une idée…