b. L’étayage et l’alliance comme supports de la réparation

« Bien sûr, ma rose à moi, un passant ordinaire croirait qu'elle vous ressemble. Mais à elle seule elle est plus importante que vous toutes, puisque c'est elle que j'ai arrosée. Puisque c'est elle que j'ai mise sous globe. Puisque c'est elle que j'ai abritée par le paravent. Puisque c'est elle dont j'ai tué les chenilles (sauf les deux ou trois pour les papillons). Puisque c'est elle que j'ai écoutée se plaindre, ou se vanter, ou même quelquefois se taire. »
(Antoine de Saint-Exupéry, Le petit prince)

La figure de la réparation permet de rassembler plusieurs récits dont les points communs sont les suivants : au départ, la personne reçue apparaît comme “abîmée” (« déprimée », « plus de goût à la vie », situation « très dégradée »…) ; un échange se met en place, sur la base d’une relation de confiance puis d’une alliance autour d’un projet commun, et progressivement, la situation se rétablit, à l’aide de l’étayage fourni par l’aidant-e.

L’accent est porté, au début du récit, sur la gravité de la situation :

‘« La situation, elle était... En fait, elle était très dégradée, de façon multiple, il y avait des multiples... Des multiples aspects. » (Mme F., AS)’ ‘« C'est la fille qui m'a écrit en me disant ma maman va pas bien, elle est prostrée de temps en temps... Elle est épileptique en plus cette dame, donc elle avait vécu une grosse période de séparation, enfin un deuil de séparation difficile à faire, plus une épilepsie, plus une enfance lourde derrière, enfin bon. » (Mme H., AS)’ ‘« C'est une dame qui avait fait sa scolarité en France, jusqu'en première, et qui... avait été... rapatriée en Tunisie, où elle avait été mariée de force, là-bas. Et euh... Elle était donc revenue après, donc quand moi je l'ai revue, enfin quand je l'ai vue, elle revenait avec quatre enfants sur les bras. Donc revenue de Tunisie avec quatre enfants sur les bras. Donc je l'ai vue, la première fois là, et ensuite elle m'a été nommée dans le cadre de mon accompagnement RMI. Donc il a fallu qu'on mette plein de choses en place, parce qu'elle avait jamais travaillé, elle avait pas forcément énormément confiance en elle. » (Mme K., CI)’

Une relation de confiance s’instaure, et dans le cadre du dialogue entre l’aidé-e et l’aidant-e, ce dernier ou cette dernière soutient la personne accompagnée, par un étayage narcissique (« valoriser ») et/ou une aide technique (aider à trouver un emploi) :

‘« Je l'ai aidée. Donc au départ, je l'ai... aidée à trouver un emploi, donc comme aide-ménagère auprès de la mairie de Rillieux. Donc j'avais une offre d'emploi auprès de la mairie de Rillieux. Donc j'ai appelé... pour qu'elle soit reçue en entretien. Donc elle a été reçue en entretien, et elle a travaillé. » (Mme K, CI)’ ‘« Sachant que j’ai pas mis la pression avec l’objectif de résultat tout de suite. Voilà après c’est de valoriser… Après je pense qu’il appréciait : mais au moins, vous, vous êtes positive. Dans les petits trucs : vous avez super bonne mine, vous êtes moins fatigué que la dernière fois, tous les petits trucs du quotidien. Par exemple valoriser, voir quand ils sont moins fatigués. Oh ben là vous êtes très bien, là vous avez une bonne présentation pour aller à l’ANPE, ce sera très bien vous avez pensé à mettre votre chemise, là, vous souriez… C’est valoriser tous les tous petits gestes du quotidien qui fait que voilà après y a une confiance qui s’établit, qui est proche, qui est… permet de faire ça. » (Mme O., CI)’

Cet étayage apparaît comme l’un des facteurs contribuant à une amélioration progressive de la situation des personnes, via un projet autour duquel aidant-e et aidé-e font alliance :

‘« Ce qui me permettait de lui dire, de lui montrer la culture qu'elle avait. Et lui dire, mais ça il faut le partager alors comment est-ce qu'à un moment donné vous pouvez le partager ? Après, élaborer des pistes de projet. » (Mme H., AS)’

Le projet apparaît alors comme un objet médiateur investi par tou-te-s deux, permettant dans sa mise en œuvre que l’aidé-e reprenne petit à petit en main la gestion du quotidien :

‘« On fait ensemble des hypothèses de travail et Madame adhérant à ces hypothèses, et quand elle part, elle a des prescriptions. (…) Entre la femme que j'ai reçue, dans mon bureau, le 22 juin et celle à qui j'ai affaire maintenant, parce que maintenant je vais en visite à domicile, c'est vraiment le jour et la nuit, quoi. Je dirais, on a vraiment affaire à quelqu'un d'autre. Et la relation est tout à fait différente. C'est plus quelqu'un qui arrive, qui se demande pourquoi elle est là euh... Et qui vient parce que on lui a dit de venir, elle sait plus comment faire euh... Qui est... limite agressive, qui part comme ça, droit dans le mur, non non. Là, c'est quelqu'un qui est plus dans l'autonomie. » (Mme F., AS)’ ‘« Elle a déjà fait mettre en place des autorisations de prélèvements, elle a bien pris l'habitude de gérer son budget, son cahier de comptes, qu'elle tient régulièrement. (…) Et elle m'a dit l'autre jour : si vous saviez comme je dors bien. Ça fait des années que je ne dormais plus, et depuis que je vous vois je dors bien parce que tout est carré, enfin... On a tout réglé [les problèmes de dettes qui s’accumulaient], y'a plus tout ça, et je pense oui, alors je pense qu'il est encore un peu tôt pour dire que ça va... Mais j'ai le sentiment, et j'ai le... Au niveau ressenti, je sens que cette femme, je la reverrai plus et je pense qu'on la reverra plus. Au niveau du service social, sauf gros, gros pépin. » (Mme A., AS)’

La figure de la réparation se conclut donc par la résolution des problèmes initialement présentés, par une amélioration de la situation de la personne, sur les plans matériel et/ou psychologique. L’idée que l’accompagnement favorise le réinvestissement, par l’aidé-e, d’actes et de projets contribuant à son mieux-être est commune aux figures de l’apprivoisement et de la réparation.

Les propos de Mme H., ci-dessous, synthétisent les différents éléments présents dans la figure de la réparation :

‘« Je pense à une dame avec laquelle j'ai fait beaucoup d'entretiens, pour la revaloriser, parce qu’elle avait fait beaucoup de tentatives de suicide, donc pour lui montrer qu'elle avait encore de l'avenir, parce que oui, elle voyait plus rien. On a passé un grand nombre d'entretiens à parler de lecture, à parler de... Ah ben oui je vais peut-être écrire un jour, et mon rôle était là [la soutenir dans ce projet d’écriture]. Et bon. Elle m'a remercié, et puis sa fille est venue en personne en disant depuis qu'elle vient vous voir, elle revit, de nouveau elle sourit à la maison, donc la dame a pu l'évaluer là, ça. » (Mme H., AS)’

Dans cette figure, on observe que lien, au-delà de l’identification permettant une relation de confiance, se noue autour d’un projet d’avenir qui fonde l’alliance de l’aidant-e et de l’aidé-e : au travers d’un objet communément investi par les deux protagonistes, l’échange se développe autour du projet sur lequel ils/elles travaillent « ensemble », ce travail venant médiatiser l’échange.

‘« Donc on a passé mais je sais pas combien d'entretien à redonner... Je dis on, j'étais toute seule, mais nous, ensemble, avec cette dame. » (Mme H., AS)’ ‘« Moi je l'ai pas vue comme un usager, et je me suis pas vue dans la relation d'aide euh... usager, travailleur social. C'est-à-dire euh... dominé, dominant. Avec le pouvoir du travailleur social. Je me suis vue dans euh... je reçois quelqu'un euh... qui est dans une situation critique actuellement, voilà, donc on est dans l'ici et le maintenant et euh... Donc... Il faut que... Alors bon, je vais aider cette personne à faire euh... émerger une demande, à… bon, expliquer sa situation, telle qu'elle la vit actuellement et puis après on va travailler ensemble, quoi. » (Mme F., AS)’

L’idée de « faire ensemble » montre bien que, plus qu’une identification, une communauté s’établit entre aidant-e et aidé-e dans la visée et la réalisation d’une réparation des « difficultés » initialement rencontrées par la personne accompagnée. Ces récits, même s’ils sont idéalisés, peuvent être rapportés à la notion d’acte affectif de réparation (Baranger, 1999), car l’on voit qu’une réelle préoccupation pour l’autre est à l’œuvre, et qu’un travail de symbolisation, de création s’effectue dans la constitution d’un projet communément investi. Contrairement à la figure de la dérobade, l’aidé-e s’approprie ou contribue à ce projet, ce qui témoigne du fait que le travail d’imagination auquel il correspond repose sur la reconnaissance et la prise en compte de la demande et des besoins exprimés par l’aidé-e.

On voit bien, ici également, que l’interaction se dégage de la violence symbolique et de l’emprise (cf. la distance établie avec l’idée de « dominé/dominant ») pour soutenir la création individuelle et collective. Au-delà de l’identification, le jeu intersubjectif s’articule dans le dialogue autour d’un objet commun : le projet, qui fonde l’alliance de l’aidé-e et de l’aidant-e.