Chapitre 1. Données historiques

La chanson est avant tout une forme d’expression fondamentalement populaire, même si à certaines époques, elle a pu correspondre à une expression littéraire et poétique. Son histoire, en France, s’est écrite au fil des initiatives individuelles d’auteurs passionnés, cet « art mineur », comme il est encore nommé aujourd’hui, n’ayant jamais véritablement été pris en charge ou institutionnalisé par un discours académique, que ce soit de la part des institutions littéraires, ou des institutions musicales. Dans l’introduction à son Histoire de la chanson française, Duneton fournit une explication à ce manquement : pour lui, rendre compte de l’histoire de la chanson nécessite de s’engager émotionnellement et sentimentalement, parce que l’objet suscite forcément, dans son appréhension, des implications affectives fortes. Or, cet engagement émotionnel apparaîtrait aux yeux des historiens comme non compatible avec leur démarche qu’ils veulent scientifique et objective. Cette difficulté à gérer ce que Duneton appelle le « sentiment » expliquerait selon lui la défection des historiens et la carence des discours institutionnels dans le domaine :

‘« L’histoire de la chanson n’est donc pas une histoire tout à fait comme une autre. Il y faut du sentiment… C’est la principale raison, à mon avis, de son oubli quasi officiel – de son rejet plus exactement, par les instances culturelles académiques et par le corps des historiens universitaires. »6

D’autres auteurs peuvent même se sentir dans l’obligation de légitimer leur intérêt pour cette forme d’expression, ou de la circonscrire dans une acception bien précise. C’est le cas par exemple de René Poupart dans l’avant propos de son ouvrage fort judicieusement intitulé Aspects de la chanson poétique :

‘« Dans sa spécificité, la chanson se trouve culturellement marginalisée. Elle ne peut être intégrée dans le champ des formes d’expression institutionnalisées, c’est-à-dire socialement reconnues, que par référence à l’une de ces références, en l’occurrence la poésie. Pour être assimilée à la poésie, la chanson doit d’abord se prévaloir d’un texte présentant des qualités poétiques. C’est ce qu’explique l’appellation valorisante de"chanson poétique". »7

Quelques soient les raisons invoquées, le constat est le même pour tous les auteurs qui se sont intéressés de près ou de loin à la chanson, et est exposé clairement par Guller dans l’introduction à son ouvrage consacré au « 9ème art » :

‘« […] la chanson n’a pas de légitimité culturelle, sinon dans l’une ou l’autre de ses formes savantes ; elle n’est cautionnée par aucune école, aucune université, aucun diplôme. Il lui manque les signes irréfutables de la valeur et de la consécration. Bien des gens s’octroient implicitement un brevet de capacité en affichant leur condescendance, voire leur mépris pour un art qu’ils qualifient volontiers de mineur. »8

De ce fait, expliquer quelles sont les origines de cette forme particulière d’expression qu’est la chanson et retracer son parcours historique est une entreprise vaste et complexe. Quelques auteurs – Claude Duneton, Julien Tiersot, Pierre Grosz, Marc Robine, entre autres – ont tenté l’aventure et ont produit des ouvrages de référence en la matière, ouvrages qui montrent à quel point cette histoire est riche et complexe. Outre le fait que cette démarche ne concerne pas directement notre travail, reproduire ici un condensé de cette histoire ne serait guère utile pour notre objectif de recherche. En revanche, il nous semble intéressant d’aborder la dimension historique de l’objet dans une approche thématique, à savoir en soulevant trois points fondamentaux qui, dans ce parcours historique, interpellent la nature même de l’objet : (i) les origines de la chanson en tant que première expression de la poésie de langue française ; (ii) le débat concernant l’opposition entre chanson savante et chanson populaire ; (iii) la dimension politique de l’objet à certaines périodes de son histoire.

Notes
6.

.Duneton, 1998 : 10.

7.

Poupart, 1988 : 8.

8.

Guller, 1978 :13.