1. Des mazarinades à la Révolution

Cette orientation de la chanson semble avoir vu le jour dès lors que la chanson s’est fortement développée en tant que pratique sociale, d’abord dans les rues, puis dans les lieux qui y sont consacrés. Duneton la date du XVIe siècle :

‘«  […] commence au XVIe siècle ce phénomène distinctif en France, qui consiste à commenter ou à propager par des chansons l’actualité des événements remarquables. Des complaintes ou des satires soulignent les hauts faits, victoires, morts, naissances, mariages des grands – une habitude qui verra sa floraison complète durant le XVIIIe siècle, et qui ne s’estompera qu’au XIXe avec l’invention et la propagation de la presse écrite, dont elle avait joué jusque là le rôle, aussi bien pour l’information proprement dite que dans le conditionnement des esprits. » 44

La chanson devient un outil d’information et d’expression pour l’opinion, qui se mêle alors, grâce à elle, de la vie publique. La première manifestation remarquable de cette utilisation politique de la chanson revient aux chanteurs du Pont Neuf, appelés ainsi parce qu’ils officiaient sur le Pont Neuf. Ce dernier, construit au début du XVIIe, en permettant la liaison entre les deux rives de la Seine, était fortement fréquenté et constituait donc un lieu particulièrement propice à la diffusion des chansons. La vie politique très mouvementée de l’époque va donner l’occasion à ces chanteurs des rues de produire énormément de chansons, et jusqu’à la chute de Napoléon, chaque événement sera narré, commenté, critiqué. Ils lancent ainsi dès le XVIIe, la mode de la chanson politique, pamphlétaire, virulente et satirique, notamment à travers leurs « mazarinades » :

‘« La Fronde allait donner à ces poètes-chanteurs de la rue l’occasion d’aiguiser leurs vers pour mieux pourfendre le pouvoir en place, ses intrigues de palais et ses turpitudes, en dépit d’une censure renforcée. Succédant à Richelieu dont la mort, disait une chanson, "causait notre réjouissance" (qui oserait écrire ça aujourd’hui… même de l’homme politique le plus honni qui soit ?), Mazarin sera sans doute le personnage le plus chansonné de toute l’histoire de France, au point qu’on donna son nom à un genre tout à fait particulier : les mazarinades. […] les mazarinades faisaient la joie des Parisiens au point que l’on finit par en compter plus de six mille : soit une chanson par jour pendant près de seize ans, alors que Mazarin est resté au pouvoir pendant dix-neuf années (de 1642 à 1661)  »45

La production chansonnière d’inspiration politique prolifère au gré des événements historiques sans précédent dans l’histoire de France. A l’éclatement de la Révolution, la chanson reprend l’esprit des mazarinades, mais cette fois pour servir la cause républicaine. C’est une période très féconde en terme de quantité de chansons créées. On compte des milliers de chansons satiriques ou vengeresses, patriotiques autant que républicaines, à Paris et dans toute la France, dont les trois plus célèbres sont connues de tous : le ç a ira et la Carmagnole, ainsi que, bien évidemment, la Marseillaise.

Le fait que la chanson ait joué un grand rôle et dans l’avènement de la Révolution, et dans son déroulement et sa résolution, est largement reconnu par l’ensemble des historiens de la chanson. Pour Robine, son rôle est comparable à celui des écrits de Voltaire, Rousseau et Diderot. Son argument est de poids : la chanson et les idées qu’elle véhicule circulent beaucoup plus aisément que des écrits philosophiques dans une société encore majoritairement analphabète. La chanson de l’époque suit l’évènement de très près, elle dépeint et raille avec précision, sur telle loi, sur tel personnage, sur les mœurs du temps, les problèmes économiques, etc. En un mot, la chanson sert à faire de la politique. Et on la retrouvera dans ce rôle à d’autres moments de l’Histoire.

Notes
44.

Duneton, 1998 : 287.

45.

Robine, 2004 : 29.