1.1.L’écoute active

Nous définirons l’écoute active, de manière tout à fait restrictive, comme la provocation intentionnelle d’un processus de réception des objets chansons par un auditeur volontaire qui, par là même, est à l’origine de l’enclenchement du processus en question, et qui entend consacrer son entière attention, auditive, et corporelle dans son ensemble, à l’écoute effective des chansons. Ce type d’écoute ainsi défini implique et détermine différents paramètres :

- détermination des lieux d’écoute : pour que ce type d’écoute soit envisageable, il faut que l’auditeur ait la possibilité de maîtriser les moyens de diffusion de la musique en question, et d’enclencher volontairement le processus, ce qui implique soit qu’il se trouve dans un espace privé, voire intime, soit qu’il investisse un lieu public dont il jouit spécifiquement pour ce type d’activité.

- investissement dans le choix des objets musicaux : une écoute active implique que l’auditeur (ou les auditeurs) ait le projet spécifique de prendre connaissance d’un nouvel objet, ou de réitérer la réception d’un objet déjà connu. Dans tous les cas, les objets musicaux élus seront le résultat d’un choix délibéré, sous-tendu par des intentions différentes : découvrir un objet nouveau, répéter une expérience déjà connue, le plus souvent dans le but d’activer, à l’écoute, un plaisir déjà identifié, etc.

- mise en condition physique et psychique de l’auditeur : ce type d’écoute requiert la disponibilité totale de l’auditeur, qui suspend toute activité étrangère à l’écoute afin d’adopter un régime corporel consacré à la réception de l’objet, sans quoi son attention auditive peut être facilement distraite.

Si l’on recense rapidement les pratiques liées à ce type spécifique d’écoute, l’on constate qu’elles s’avèrent peu nombreuses et qu’elles relèvent de l’exception quant à l’écoute de chansons. Il semble que ce soit le corollaire d’une société entièrement tournée vers l’image, et qui, comme l’explique Chion, ne valorise pas l’écoute concentrée :

‘« Dans notre société, rien n’est fait pour valoriser l’écoute, aussi bien dans les comportements que dans le langage et la conception même des lieux d’enseignement et de formation. Nombre d’écoles d’art ou de musique ne comportent aucune pièce à la fois insonorisée et agréable, bien équipée et propice à la concentration – bref, l’équivalent d’une salle de projection sonore – alors même qu’existent les moyens techniques les permettant. Les raisons de ce discrédit de l’écoute sont donc liées à la culture moderne, une culture de ce qui se voit. »95

On peut néanmoins trouver ce type de pratique dans des milieux d’amateurs passionnés, pour qui il n’est pas exceptionnel, par exemple, de proposer une plage de temps d’écoute attentive lors d’une soirée privée, afin de partager une découverte musicale, cas assez rare d’écoute active collective. Plus généralement, ce type d’écoute relève davantage d’initiatives individuelles, et peut refléter des situations diverses : ce peut tout aussi bien concerner l’auditeur averti, dont l’activité professionnelle nécessite ce type d’écoute (par exemple, les producteurs, les artistes, les journalistes ou autres chroniqueurs de disques, etc.), l’auditeur en situation d’apprentissage ou de formation musicale, mais aussi l’auditeur ordinaire qui recherche dans ce type d’écoute un contact très étroit avec l’environnement sonore en question, la restitution d’un univers sonore auquel il est particulièrement sensible, et qui cherche ainsi à reproduire un cocon auditif qui le maintient dans un état de sensibilité qu’il affectionne. Quant aux supports de diffusions privilégiés pour cette écoute, on retiendra bien évidemment l’écoute de disques, mais également de manière plus marginale, certaines émissions de radio en programmation régulière et dont la thématique est justement de faire connaître des artistes ou des chansons peu diffusées96. Par ailleurs, l’écoute au baladeur (ou plus probablement aujourd’hui, au lecteur mp3) peut parfois être envisagée comme une écoute active, dès lors que l’auditeur se met dans des dispositions de réception particulières (écouter de la musique avant de s’endormir par exemple).

Notes
95.

Chion, 1994 : 94-95.

96.

Émission de France Inter "La prochaine fois je vous le chanterai" (animée par P. Meyer) ou de France Culture, "Chanson Boum !" (animée par Hélène Hazera), par exemple.