1.3.L’écoute passive

Nous réservons ce terme à une pratique d’écoute où l’auditeur n’a plus aucune responsabilité dans l’enclenchement du processus, et où il se trouve confronté à un environnement musical qui lui est imposé. Ce type de pratique est évidemment très répandu dans les lieux publics, magasins, restaurants, stations de métro, etc. Pour l’auditeur, la maîtrise du processus d’écoute, ainsi que celle du choix des objets musicaux est nulle. Par ailleurs, cette pratique ne prend pas en compte les disponibilités physiques et psychiques des auditeurs pour la réception des objets musicaux. Certes, les instances qui décident de la diffusion de telle ou telle musique dans ces lieux publics diffusent ce qu’elles jugent adapté aux lieux en question, ou aux publics qui les fréquentent. Cependant, cette adaptation au public par le choix de la programmation ne peut pas se confondre avec l’effective disponibilité auditive particulière à chaque auditeur.

L’on pourra objecter ici qu’il ne s’agit plus à proprement parler d’une véritable pratique d’écoute, puisque l’auditeur en question est auditeur sans son propre consentement, et que rien ne permet de préjuger du fait qu’il accorde une quelconque attention à l’environnement sonore dans lequel il évolue. Cependant, dans la mesure où il est impossible de s’abstraire de cet environnement dès lors qu’il est à portée d’oreille, contrairement à un objet visuel dont on peut détourner le regard par exemple, l’objet musical reste effectivement perçu par la personne en présence, et trouve donc bien, dans ce passant, qui peut être inattentif, une écoute. Cette écoute, nous la définissons comme passive, non pas parce qu’elle n’aurait aucun effet sur l’auditeur, mais bien parce qu’elle n’est pas le résultat de sa volonté intentionnelle, et qu’elle n’exige pas de lui la même implication auditive. Une fois ces paramètres posés, il n’empêche que les objets musicaux sont ainsi entendus, et que cette écoute participe à la formation de l’oreille, et à sa sensibilisation à certains types de sons, d’arrangements, de voix, etc. Dans ce sens, elle est à considérer comme un type d’écoute à part entière.

Ce rapide panorama des pratiques permet de visualiser sommairement les modes principaux de réception, par un auditeur, des chansons enregistrées. Il permet également d’entrevoir l’importance des diffusions médiatiques pour un tel objet, diffusions qui constituent sans aucun doute le canal le plus important d’accès à ce type de production artistique. Cet état de fait a plusieurs conséquences : la médiatisation joue un rôle primordial pour le succès public des objets, et elle est donc déterminante pour l’économie et les industries du disque ; par ailleurs, elle met à disposition du public un ensemble de productions qui, parce qu’elles sont continuellement diffusées, entendues, perçues, dans toutes les conditions de réception possibles, façonnent les goûts et les attentes des auditeurs :

‘« Ce vaste public qui n’achète que dix disques par an, et qui fait les plus gros succès, consommera naturellement les tubes en rotation lourde à la radio ou exhibés à la télévision. Les goûts se forment, l’oreille se fabrique : c’est la raison d’être du marketing… »98

De là la question maintes fois soulevée de savoir si les médias diffusent certaines chansons parce qu’ils savent ainsi répondre à une demande identifiée du public, et qu’ils s’assurent alors une rentabilité économique certaine, ou bien si le public adhère aux productions médiatisées parce que ces chansons sont justement largement diffusées et entendues, et qu’elles construisent leurs attentes en la matière. Cette question peut paraître anodine. Elle est pourtant au cœur de la notion de « culture populaire », et en matière de chansons, de la notion de variétés, que nous évoquerons ultérieurement.

Notes
98.

Casier, 2003 : 34.