2.2. La reconnaissance de la chanson en tant qu’expression artistique vivante

Parallèlement à ces grandes manifestations, le concert reste une des possibilités pour l’auditeur de découvrir des artistes moins médiatisés, et qui parcourent les petites salles de province pour faire connaître leur travail. Ces artistes évoluent la plupart du temps plus ou moins en marge des circuits de médiatisation, c’est-à-dire que, s’ils bénéficient d’une médiatisation, elle est soit restreinte à une exploitation limitée (lieu géographique, média spécialisé dans tel ou tel genre, etc.), soit ponctuelle, liée à un événement particulier (sortie d’un disque remarqué, lauréat d’un concours de découvertes, festivals, etc.). Pour ces artistes, le concert est un des moyens de contrecarrer le diktat des médias et des maisons de disques, et de pratiquer leur art, quelque soit la médiatisation dont ils peuvent bénéficier par ailleurs. C’est aussi le moyen d’éprouver leur talent et de fidéliser progressivement un public :

‘« […] faire des concerts est une solution pour un jeune groupe qui se lance sans l’aide d’une maison de disques. La scène est fondatrice : c’est là qu’un groupe se crée, avant même qu’il enregistre ses morceaux. »102

Pour l’auditeur qui se rend à ce type de concert, la dimension mythique du personnage chanteur, bien que toujours présente, n’est généralement plus le paramètre premier de sa mobilisation. En effet, assister à des concerts d’artistes peu connus, concerts qui ont généralement lieu dans des salles de province, ou dans des petites salles parisiennes, relève davantage d’une démarche globale, artistique et culturelle : curiosité artistique lorsque l’auditeur ne connaît pas ou peu l’artiste et sa production, plaisir de la musique « live » pour l’auditeur déjà conquis. Cette démarche est rendue possible, et entretenue, par des réseaux parallèles à la grande distribution, qui font circuler des informations concernant des artistes émergeants, ou peu médiatisés. Pour ce type d’auditeurs, la chanson est un produit culturel à part entière, et il se déplace au concert dans une perspective de consommation de ce bien culturel, comme il se déplace au cinéma, aux expositions, etc. L’offre étant importante et variée (de nombreux artistes « tournent » et alimentent les programmations des salles de concert), c’est sans doute dans ce type de pratique que l’on trouve le public de chansons le plus exigeant quant à la qualité artistique des prestations et des objets eux-mêmes.

On peut conclure cette brève investigation dans les pratiques des auditeurs par une citation de Chion, qui bien que faisant référence à la musique en général, trouve un écho tout à fait pertinent en ce qui concerne les pratiques liées à l’écoute des chansons :

‘« Il nous faut donc accepter que la musique nous échappe, mais n’en existe pas moins, et en reconnaître comme également valables, sans les jouer les unes contre les autres, les différentes images multipliées, reflétées et répercutées à l’infini par tous ces médias. Et la rencontre en face à face, immédiate et privilégiée, que nous espérons avec elle, il nous faut accepter aujourd’hui qu’elle se produise, grâce à la technologie moderne ou sans elle, n’importe où et n’importe quand : un concert de musique ancienne dans une église ; un moment de grâce en voyage, lorsque la cassette engagée dans le lecteur de l’autoradio répand une symphonie qui vibre magiquement avec le paysage traversé ; […] ou enfin la réjouissance collective autour d’une chaîne hi-fi, pour danser ensemble. Chacun de ses moments a son prix, et la musique reste admirable d’avoir tant de visages et tant de pouvoirs, qu’il faut tous préserver. »103
Notes
102.

Casier, 2003 : 27.

103.

Chion, 1994 :109.