Chapitre 1.  Un objet musical nommé « chanson »

La difficulté à circonscrire le domaine de la chanson est largement partagée par les auteurs qui se sont intéressés à elle, et la plupart du temps, ces derniers s’en sortent par une délimitation rudimentaire du domaine. Prenons en exemple les auteurs du dictionnaire de La chanson mondiale :

‘« En publiant pour la première fois en France un Dictionnaire de la chanson mondiale, de 1945 à nos jours, nous avons voulu considérer la chanson comme un art à part entière, un art grand public, qui, à l’égal du cinéma, de la bande dessinée ou d’une certaine littérature, forme un tout et repose sur des règles propres (brièveté des morceaux, en général trois minutes ; alternance mélodie/refrain118 – même si le rap n’a plus grand chose à voir avec cette tradition ; concision du texte chanté…). Nous nous sommes donc attachés à aborder, sans exclusive, tous les genres de chanson actuellement en cours sur la planète, qu’il s’agisse de blues, de country, de soul, de funk, de rock, de grunge, de trash metal, de pop, de reggae, de rap, de salsa, de saudade, de fado, de flamenco, d’opérette, de samba, de chanson rive gauche, de protest-song, voire de techno, de trip hop ou de raggamuffin. La voix étant notre fil conducteur, nous avons uniquement écarté les musiques instrumentales… et le jazz, car il a été considéré que celui-ci constitue une discipline en soi, bien éloignée désormais de cette forme d’expression populaire qu’est la chanson. Si quelques grands artistes de jazz comme Louis Armstrong ou Ella Fitzgerald ont été quand même traités, c’est au titre de leur incursion dans la « grande variété », quand Satchmo chantait, par exemple, « What A Beautiful World » ou quand Ella reprenait « Can’t Buy Me Love » des Beatles. »119

Ce qui fait la chanson, c’est une combinaison de critères formels – durée des morceaux, alternance couplet/refrain, texte concis et chanté par une voix – qui permet de délimiter un ensemble d’objets musicaux, duquel sont en conséquence exclues les musiques purement instrumentales. La chanson définie ainsi constitue un domaine très vaste, qui englobe « tous les genres de chanson actuellement en cours sur la planète ». La question du genre est alors au cœur de la définition du domaine, et pose problème dans la mesure où ce concept – genre – est appréhendé (au moins) à deux niveaux différents : un niveau macro, permettant de poser une sorte de macro-structure des objets, et un niveau inférieur, qui désigne toutes sortes de « genres » de chansons, dont un des critères discriminant peut être d’ordre musical, soul, funk, rock, etc., mais pas uniquement, nous le verrons par la suite.

Afin d’expliquer le raisonnement qui a conduit à l’élaboration de notre corpus, nous proposons de discuter de la chanson en tant que genre, réflexion au travers de laquelle nous tenterons d’éclaircir quelles sont les acceptions génériques que renferme cette désignation.

Notes
118.

Il semble qu’on soit ici en présence d’une coquille : le couple mélodie/refrain ne fonctionnant pas en opposition structurelle, les auteurs ont sans aucun doute voulu mentionner l’opposition couplet/refrain, le refrain n’étant pas exempt de mélodie…

119.

Plougastel, 1996.