1.1.L’activité d’écoute selon Schaeffer

Schaeffer propose une conception de l’écoute en quatre secteurs, écoute qui signifie pour lui attitude d’écoute, et qui implique complètement un sujet écoutant (selon nos termes), dans son intentionnalité perceptive (la non-intentionnalité étant à considérer comme une intentionnalité « zéro », non marquée). Il formalise ces attitudes dans une schématisation circulaire de l’activité perceptive du sonore : 1. écouter, 2. ouïr, 3. entendre, 4. comprendre. Sa conception s’appréhende comme un « circuit » que la perception parcourt en tous sens et où ces quatre secteurs sont le plus souvent simultanément impliqués, se renvoyant mutuellement les uns aux autres :

1. écouter : cette écoute consiste à rechercher les indices susceptibles de renseigner sur la cause des sons. Elle est directement reliée à l’événement qui crée le son. Ainsi, tel motif musical est identifié comme étant joué par tel instrument. Schaeffer nomme cette écoute « causale » dans la mesure où le son est traité comme indice d’une source qui en est la cause. Chion, dans un ouvrage plus récent, Le son, élargit le concept et le rebaptise « écoute figurative »176 : il généralise cette fonction d’indice aux événements sonores dont on est susceptible d’identifier la cause figurée : tel motif sonore est reconnu comme représentant un schème identifiable d’un bruit de pas, d’une sonnerie de téléphone par exemple, même si la cause réelle en est un son électronique de synthétiseur ou autre appareil. Les sons sont reconnus comme ce qu’ils sont censés représenter.

2. ouïr : cette écoute correspond en quelque sorte à une écoute brute du sonore, en tant qu’on est « frappé par le son », sans même être dans une intention ni d’écouter, ni de comprendre, et donc en tant qu’on le perçoit passivement.

3. entendre : ici, il s’agit de porter son attention sur ce qui est concrètement manifesté dans l’expression sonore, de sélectionner dans ce qu’on entend ce qui nous intéresse plus particulièrement, pour opérer une « qualification » de ce qu’on entend. Cet « entendre » correspond au concept spécifiquement schaefferien d’écoute réduite, à la base de l’ensemble de ses travaux de recherche en musique concrète. L’explication qu’en donne Chion est éclairante :

‘« L’écoute réduite, telle que l’auteur du Traité des objets musicaux la pose, est donc celle qui fait volontairement et artificiellement abstraction de la cause et du sens (et nous ajoutons : de l’effet), pour s’intéresser au son considéré pour lui-même, dans ses qualités sensibles non seulement de hauteur et rythme, mais aussi de grain, matière, forme, masse et volume. […]. Par rapport aux autres écoutes, l’écoute réduite est celle qui prend le son, qu’il soit verbal, "musical" ou réaliste, comme un objet d’observation en lui-même, au lieu de le traverser en visant à travers lui autre chose. Activité forcément volontaire et culturelle – rien dans la vie ni même dans la plupart des formes d’art existantes ne nous y engage – […] »177

4. comprendre : l’écoute est ici dirigée vers la saisie d’un sens, vers la compréhension de valeurs véhiculées par le son. Cette écoute traite le son en temps que signe, et lui assigne une fonction de langage. Chion la nomme l’écoute sémantique.

Ces quatre secteurs subissent chez Schaeffer une catégorisation en quatre pôles, ABSTRAIT vs CONCRET, et OBJECTIF vs SUBJECTIF :

  • abstrait : l’attitude d’écoute vise à retenir de l’objet ses qualités en tant qu’elles permettent de le mettre en rapport avec d’autres, de le référer à des systèmes signifiants.
  • concret : l’attitude d’écoute se tourne vers l’objet concret, en tant que donné brut et inépuisable, dans sa réalité matérielle de son.
  • objectif : l’attitude d’écoute est dirigée vers l’objet de perception
  • subjectif : l’attitude d’écoute est tournée vers le sujet percevant

L’ensemble de ces grandeurs qualifie chacun des secteurs de la façon suivante178 :

Notes
176.

Chion, 2004 : 238.

177.

Ibid.

178.

Le tableau rend compte du « circuit » de l’activité perceptive, à lire dans le sens des aiguilles d’une montre.