1.4.Implications analytiques
La question qui se pose maintenant s’exprime en ces termes : comment, dans notre activité de recherche, subordonner nos propres attitudes d’écoute aux objectifs que nous venons d’esquisser, afin d’y trouver quelques éléments de réponse ?
- rendre l’accès au concret de l’objet le plus objectif possible, afin de tenter une observation généralisante de cet « ouïr », et accéder à la transcendance de l’objet évoquée par Schaeffer, qui de fait dépasse les perceptions individuelles. Cette attitude d’écoute peut se décrire en Concret / Objectif, et correspond alors à l’« écouter » de Schaeffer. Pour l’analyste, elle équivaut donc à chercher dans les chansons la source des sons ou ce qu’ils sont censés représenter. Cette écoute revient à observer les différents éléments pertinents pour sa production : quels sont les instruments utilisés ? Quelles tonalités sont employées ? Comment la chanson est-elle rythmée ? Comment s’organisent les thèmes mélodiques ? Quelles sont les caractéristiques de l’expression vocale ? De fait, dès lors que l’ « écouter » implique de considérer le son en tant qu’indice de sa source, cette étape de l’analyse peut s’apparenter à une sémiotique du « signe-renvoi »184 au sens de Geninasca : tel type de son renvoie aux conditions de sa production, dans un rapport métonymique, et en accord avec le savoir partagé par les auditeurs avertis, musiciens ou musicologues.
- restituer au « comprendre » sa dimension subjective, et écouter les qualités des sons pour elles-mêmes, dans le but d’y chercher en quoi elles pourraient se référer à d’autres ensembles signifiants. Cette attitude d’écoute se décrit alors en Abstrait / Subjectif et correspond à l’ « écoute réduite » de Schaeffer. Elle implique non seulement de percevoir les qualités des sons, mais également d’être capable de qualifier ces sons à travers leurs propriétés.
En menant ces deux types d’écoute pour l’analyse, nous devrions aboutir au final à une compréhension globale du « circuit » de l’activité perceptive tel que défini par Schaeffer, relativement à notre objet chanson Par suite, cette activité perceptive étant le corrélat obligatoire d’une herméneutique de la chanson, nous devrions être en mesure, au regard des résultats obtenus, de la rattacher à une théorie de l’interprétation des discours, afin de fournir les clés de ses fonctionnements sémiosiques. Cependant, il s’agit évidemment d’un tableau idéal de notre de recherche, et irréalisable tel quel. Nous devons le mettre en adéquation avec nos objectifs, nos propres ressources en matière d’analyse, et les outils conceptuels que nous offre notre discipline.
Notes
184.
« La sémiotique du signe-renvoi engage ce que j’appellerai une saisie molaire […] Dans le cadre d’une telle sémiotique, on appellera sens, ou non-sens, respectivement, la conformité ou la non-conformité des réseaux, actualisés ou mis en place par le discours avec ceux qu’enregistre le savoir partagé dont dépendent le vraisemblable et les conditions de « vérité » propres à un espace socioculturel défini. » (Geninasca, 1997 : 88).