2.1.Structure musicale globale

Pour mettre en évidence les éléments en jeu dans la structure musicale globale des chansons, nous aborderons nos analyses notamment à la lumière des notions présentées par Stéphane Roy, dans son article « L’analyse formelle en quête de significations profondes », tiré de la revue LIEN, consacrée à L’analyse perceptive des musiques électroacoustiques :

‘« […] le sujet tente d’interpréter, de donner forme et cohérence à l’œuvre écoutée en adoptant un certain nombre de stratégies. Ces stratégies se déploient selon trois dimensions qui m’apparaissent fondamentales, soit celle des renvois interne et externe, de la discursivité musicale et des rapports de tensions qui définissent les relations hiérarchiques entre les composantes d’une œuvre. »270

Le propos de cet auteur nous interpelle dans la mesure où il envisage l’interprétation de l’œuvre musicale dans des termes semblables à ceux que Geninasca utilise lorsqu’il envisage l’interprétation des discours esthétiques. En effet, il évoque l’existence de stratégies par lesquelles l’auditeur informe l’expression musicale, et à partir desquelles il construit sa cohérence. Parmi les trois dimensions qu’il propose, celle des renvois internes a une résonance particulière pour notre objet, dans la mesure où elle correspond à des phénomènes de reprises, réitérations, rappels, etc., plus globalement à l’organisation des phénomènes de répétitions. Or, en chanson, ces phénomènes de répétitions sont inhérents et propres à l’objet, au point qu’ils sont inscrits dans sa définition même, et ce dans tous les dictionnaires de langue, au travers des notions de couplet et refrain. En effet, dans une chanson, d’abord continuum sonore dont l’existence est délimitée par son début et sa fin, et donc par l’enchaînement « silence – son – silence », les structures répétées, à quelque niveau qu’elles interviennent, jouent un rôle fondamental pour l’appréhension sensible de l’objet, et fournissent à l’auditeur l’outil essentiel de discrétisation du flux sonore. Citons rapidement différentes fonctions qu’elles peuvent remplir : elles articulent entre eux les éléments sonores, en découpant dans le continuum des unités discrètes et identifiables ; elles posent des équivalences paradigmatiques entre ces unités ainsi identifiées ; elles mettent en évidence les éléments qui eux, ne sont pas répétés, et acquièrent ainsi un statut spécifique ; enfin, elles posent une norme d’exécution des éléments répétés, rendant ainsi saillant aux oreilles de l’auditeur tout écart à cette norme. En d’autres termes, elles construisent de fait, dans ce flux sonore, les unités pertinentes pour la constitution d’un discours. Ces unités, ainsi identifiées parce que discrétisables, fondent le matériau sonore à partir duquel la discursivité musicale, deuxième dimension mentionnée par Roy, peut prendre corps. Cette discursivité musicale résulte selon lui de « la présence de mouvements téléologiques au sein des différents niveaux hiérarchiques de l’œuvre », repérables notamment par l’alternance de phases de tension et de résolution. Ces mouvements téléologiques résultent d’une combinatoire de l’ensemble des données musicales, et font également intervenir les cadences, dont nous retrouvons ici la pertinence discursive. Quant à la troisième dimension présentée, concernant les relations hiérarchiques, elle peut paraître d’une importance moindre pour notre objet, dans la mesure où il présente généralement une composition assez simple. En effet, les relations hiérarchiques, qu’elles soient de nature morphologique ou syntaxique, révèlent la plupart du temps une profondeur de niveau assez réduite, et une hiérarchisation des événements facilement appréhendable. Cependant, étant donnée la durée, courte, de l’œuvre, et la nature syncrétique des données sonores, son intérêt, s’il ne réside pas dans sa complexité, peut s’envisager en terme d’efficacité pour sa saisie rapide et sans équivoque par l’auditeur.

Par ailleurs, notons que les deux notions, couplet et refrain, ordinairement convoquées pour rendre compte des phénomènes de répétition en chanson, se réfèrent en fait plus précisément à sa dimension textuelle, dans la mesure où elles identifient des parties spécifiques d’un texte chanté, en corrélation avec un contenu sémantique. Elles n’évoquent rien de précis quant à leur caractéristique musicale. Nous expliciterons donc également dans quelles restrictions nous entendons utiliser ces dénominations.

Notes
270.

Roy, 2006 : 16.