2.2.Mélodie : figure et fond

La dimension mélodique domine du point de vue de la prégnance acoustique dès lors qu’elle exploite au premier chef le caractère le plus saillant du son, la hauteur. Par conséquent, elle constitue un principe organisateur fondamental du continuum sonore. En effet, dans son développement linéaire, elle est téléologiquement construite, selon les lois harmoniques que nous avons esquissées, et elle organise le flux sonore en thèmes et motifs repérables, se définissant ainsi par la totalité formée par l’ensemble. Ainsi que le précise Cornu :

‘« La mélodie a donc un commencement, un développement et une fin. Mais en même temps, on perçoit une mélodie dans son tout. Raison pour laquelle il est plus facile de fredonner toute une mélodie qu'un seul petit bout; raison pour laquelle encore, changer une seule note c'est changer toute la mélodie. Cette dernière instaure un temps du devenir, de l'ouverture, du désir, mais n'exclut pas la totalité vécue. »297

La succession des sons constituant une mélodie n’est donc pas à concevoir comme le déploiement indifférent de sons toniques sur la dimension temporelle, mais bien comme une totalité organisée, et perçue comme telle.

Cette dimension mélodique acquière en chanson une fonction substantielle dans la mesure où elle est principalement corrélée à la manifestation de la substance verbale, et constitue la voie privilégiée de l’accès au texte. Une chanson se définit effectivement comme une mélodie accompagnée. Qu’est-ce à dire ? D’une part, cette mélodie constitue le point de syncrétisme de ce type d’expression, par la voix chantée ; d’autre part, c’est effectivement cette dimension mélodique qui domine du point de vue de la prégnance acoustique, dès lors que la hauteur des sons, ainsi que le timbre spécifique d’une voix, sont des critères du son particulièrement saillants. De fait, la ligne de chant constitue sans équivoque le pôle attractif de l’attention auditive, et concentre des données essentielles : la manifestation audible de la présence de l’émetteur-chanteur ; le message signifiant, et par conséquent le donné verbal intelligible. Nous ne pouvons donc nier cette prévalence de la ligne de chant en chanson, sur au moins ces trois points : prégnance acoustique, lieu de manifestation du dispositif communicatif et énonciatif, lieu de manifestation de la dimension sémantique verbale de l’objet.

Dans ces conditions, les répartitions thématiques dessinent la plupart du temps une dichotomie de base au sein du mélodique, telle que nous l’avons déjà évoquée : des thèmes mélodiques chantés (couplets / refrains) vs des thèmes mélodiques non chantés (principalement les paradigmes des connecteurs). La spécificité du mélodique réside alors dans la caractérisation de la substance de son expression, qui est soit exclusivement musicale, soit syncrétique, musicale et vocale. La hiérarchisation des données mélodiques dépend alors de l’attitude d’écoute privilégiée : l’activité perceptive du « comprendre » privilégiera de fait les données mélodiques permettant la corrélation immédiate avec un système signifiant, et donc ici les thèmes chantés ; l’activité perceptive du « ouïr » ne devrait a priori provoquer aucune hiérarchisation particulière dans cette réception des données mélodiques, ce qui ne signifie évidemment pas que cette hiérarchisation présente dans le « comprendre » n’a pas d’implications sémiotiques concernant le « ouïr », l’activité perceptive étant globale et consubstantielle. Dès lors, dans une appréhension strictement musicale et abstraite, considérée hors des processus sémiosiques enclenchés lors de la réception de l’objet, l’ensemble des thèmes mélodiques construit un développement linéaire et dans une certaine mesure, plane : la dimension mélodique, qu’elle soit prise en charge par l’(es) instrument(s) ou la voix, se déploie en figure, sur un accompagnement qui en constitue le fond.

Notes
297.

Cornu, 2005 : 4.