1. Le son des chansons, un son enregistré

Il nous faut donc maintenant apporter quelque éclairage sur cette dimension spécifique de « son musical créé en studio d’enregistrement ». Relativement aux activités analytiques d’écoute que nous avons posées précédemment, cette démarche implique d’intégrer le second pôle analytique que nous avions spécifié, l’« entendre », en ce qu’il vise à écouter dans le son de nos chansons ce qui échappe au système musical, mais pour autant participe selon nous à l’élaboration de la totalité signifiante. Cette activité, « entendre », est décrite par Schaeffer comme subjective et abstraite. Subjective : dirigée vers le sujet, qui éprouve alors sa propre perception des sons afin d’en extraire des qualités ; abstraite : cette écoute vise la mise en relation des qualités ainsi extraites dans la perspective d’une potentielle construction d’un système signifiant.

Nous l’avons signalé, cette description de l’acte analytique est évidemment à replacer dans nos perspectives sémiotiques. Tel que décrit par Schaeffer, l’ « entendre » relève de l’écoute réduite, dont nous avons précisé qu’elle ne peut rigoureusement correspondre ni à notre attitude, ni à nos objectifs. Pour notre projet, ce que nous retenons de cette conception schaefferienne de l’ « entendre » se décline en deux points essentiels : l’intention de notre écoute en tant que chercheur, qui répond alors au pôle subjectif de l’activité d’écoute ; dans l’objectif d’une conceptualisation sémiotique globale de ce qui est entendu, ce qui recouvre le pôle abstrait de la définition schaefferienne. Rappelons par conséquent ces deux autres points essentiels de divergence entre notre démarche et celle de Schaeffer : son investigation vise le musical et la recherche musicologique, la nôtre est sémiotique et vise l’interprétation de ce discours spécifique que constitue une chanson ; son objet sonore est local et vise la qualification des sons à travers la saisie d’unités, dans l’objectif d’y découvrir un potentiel élargissement du système musical existant, notre objet sonore est global, subsume le musical, et vise l’interprétation de la totalité audible en tant qu’elle est susceptible de faire sens pour l’auditeur. Rappelons également le point fondamental de convergence : dans les deux démarches, le son n’est pas à confondre avec l’objet de l’acoustique : il ne s’agit en aucun cas d’analyse du signal physique, mais bien de la résultante d’une attitude d’écoute orientée.

Par conséquent, offrir un statut théorique à cette dimension sonore des chansons revient à expliquer quel objet est sous-tendu par notre intention d’écoute de l’ « entendre », et à en proposer une conceptualisation sémiotique.