1.2.L’image-de-son ou la représentation sonore

Là encore, c’est dans les réflexions des musiciens et musicologues de musique acousmatique que l’on trouve quelques éléments de réponse. En effet, le concept proposé par Bayle320, l’i-son, équivalent de l’image-de-son nous paraît intéressant. Voici ce qu’en dit l’auteur :

‘« Quand on entend un son qui vient d’un haut-parleur, il faut réaliser que ce n’est pas un son "comme les autres". Une vibration de l’air parvient à mon oreille, d'accord jusque-là, mais si je remonte l'enchaînement des faits, alors je m’aperçois qu’il y a une coupure : ce qui sonne n'est plus lié à la cause (qui restera cachée, définitivement ailleurs dans l'espace, antérieure dans le temps) mais à sa forme captée. C’est devenu, par support interposé, une image-de-son. […] l’objet temporel, comme produit d’une "techno-culture", donne naissance à l'image-de-son. Ces images sont de nouveaux objets, observables et manipulables, relevant d'un autre espace, d'un monde de représentation. Et le modus vivendi de ces nouveaux objets que sont les images d'objets temporels, je l’appelle la modalité acousmatique »321

Cette image-de-son, telle que conceptualisée par l’auteur, renvoie à la construction d’une représentation, au même titre que l’est un discours écrit, ou une peinture, à la différence que sa matérialité est faite de sons. Chion l’explicite de la façon suivante :

‘« Comme l’image, l’i‑son se distingue du son‑source par une double disjonction, celle – physique – provenant d’une substitution d’espace de causes, et celle – psychologique – d’un déplacement d’aire d’effets ; conscience d’un simulacre, d’une interprétation, d’un signe. L’i‑son constitue alors un objet figural incluant les marques codées de sa production d’écoute, au contraire du son naturel pour qui ces codes et ces marques se réfèrent à un système extérieur. »322

Le concept de i‑son nous semble par conséquent pouvoir faire écho à une certaine réalité de la dimension du « son » de nos chansons, dans son existence sémiotique, à condition de ne pas le prendre dans les restrictions de l’auteur. En effet, Bayle, dans d’autres écrits, l’associe à la musique acousmatique, au sens strict qu’il en donne, en tant que « situation de pure écoute, sans que l’attention puisse dériver ou se renforcer d’une causalité instrumentale visible ou prévisible. ».323 Son image‑de‑son réfère à la création d’un domaine musical acousmatique « sui generis », où cet i‑son est l’objectif même de la création musicale en question. Ce n’est pas le cas de notre objet, pour lequel le « son » compose avec une base musicale traditionnelle et affirmée, qui par conséquent n’a pas cette dimension expérimentale, et intègre un degré certain de prévisibilité. Pour autant, en tant qu’ « objet observable » relevant d’un « monde de représentation », ce concept d’image‑de‑son trouve une pertinence d’un point de vue sémiotique : l’auditeur de chanson a bien la conscience de l’existence d’un simulacre, dès lors qu’il interprète effectivement la totalité audible comme un univers de discours fictif. Par conséquent, la dimension sonore de l’objet peut renvoyer à la composition d’une représentation, d’ordre sonore, qu’il est susceptible de recevoir comme telle. Le « son » des chansons, dans son existence sémiotique, présente alors une affinité avec cette image‑de‑son : l’auditeur est effectivement susceptible de l’interpréter comme un simulacre, comme la représentation d’un monde possible. Cette représentation manifeste à la fois des caractéristiques musicales, que nous avons expliquées, et des caractéristiques sonores globales, susceptibles de renfermer, dans leur manifestation même, les traces de la construction de cette représentation.

Notes
320.

François Bayle est compositeur de musiques acousmatiques, et a été directeur du GRM (Groupe de Recherches Musicales) auprès de Schaeffer.

321.

Bayle, 2003 : L’image des sons, technique de mon écoute, http://www.magison.org/

322.

Chion, 2004 : 267.

323.

Bayle, 1989 : 241.