1.1.Chansons à structure « classique »

Sur l’ensemble du corpus, seules six chansons peuvent prétendre actualiser une macro-structure, susceptible d’être entendue par un auditeur comme répondant à la formalisation empirique du genre. Autrement dit, ces chansons manifestent les structures les plus répandues en chanson, qui ont permis de fonder le savoir encyclopédique. Il s’agit des chansons suivantes : Les yeux de ma mère (Arno), Il (Les Négresses Vertes), Le poil (Java), Maigrir (Sanseverino), Avril et toi (Les Ogres de Barback), Dis-moi (Mano Solo). Pour chacune des chansons 370 , nous pouvons décrire schématiquement leur structuration selon les syntagmes suivants :

Les yeux de ma mère Intro [C / C / R] Pont [C / C / R] Pont C – Rvar
Il [R / C / C] [R / C / C] [R / C / C] Pont [R / C / C] - R - Coda
Le poil Intro [C / C / R] [C / C / R] [C / C]
Maigrir Intro [C / R] [C / R] – Cvar / Rvar - [C / R] - Coda
Avril et toi Intro [C / R] Pont [C / R] [C / R] [C / R]Pont [C / R] – Coda
Dis-moi Intro [C / C / R] Pont [C / C / Rvar] Pont - Coda
C : couplet – R : refrain – var : variante

Nous éprouvons d’emblée, dans cette expérimentation de schématisation rudimentaire, la difficulté à systématiser le fonctionnement structurel des chansons : là où l’on croit pouvoir déceler des règles, il n’y en a pas vraiment. En effet, bien que ces chansons apparaissent comme les plus transparentes d’un point de vue structurel, elles soulèvent pourtant quelques petites questions :

  • dès lors que préside à la segmentation la notion de thème musical, les dénominations syncrétiques couplet et refrain ne sont plus adaptées, et ne sont pas aptes à rendre compte de la structure musicale de la chanson. Ainsi par exemple, pour la chanson Il , le premier groupement syntaxique [R/C/C] actualise du refrain sa seule composante musicale. Autrement dit, sur le plan restrictif de la dimension verbale, ce premier R n’est pas un refrain à proprement parler puisqu’il n’actualise pas les paroles qui lui sont assignées dans la chanson, en tant que refrain détaché fixe. Pour autant, musicalement parlant, il correspond bel et bien au thème du refrain. Sa place initiale dans le syntagme lui confère à la fois le rôle de syntagme introductif (marqué ici par le trait /absence de la voix chantée/) et le rôle de premier paradigme du groupement [R/C/C] qui, parce qu’il sera actualisé quatre fois au cours de la chanson, correspond effectivement à un niveau de structuration hiérarchiquement supérieur au découpage en couplets / refrain. Par ailleurs, du point de vue de la prégnance des données sonores, il constitue bel et bien une première exposition thématique du refrain, qui de fait participe à son identification en tant que tel dans la suite de la chanson. Autre exemple, dans la chanson Maigrir , la partie notée Cvar n’est à considérer comme se rattachant aux couplets qu’au regard de son contenu verbal. Sur le plan musical, elle développe un thème mélodique spécifique. Là encore, le syncrétisme des notions n’est pas apte à rendre compte des différents aspects de la variation.
  • la chanson Le poil qui par ailleurs construit une structure des plus archétypales, porte son originalité structurelle dans son introduction parlée-chantée. Ce n’est plus l’absence de la voix chantée qui prédomine à la discrétisation du paradigme introductif, mais au contraire une manifestation singulière de cette voix, auquel s’adjoignent d’autres traits : soutien musical plutôt qu’accompagnement, absence de rythmique qui implique une introduction hors du temps de la carrure, etc.
  • la chanson Avril et toi développe une structure également marquée, qui s’apparente à la forme rondo, dans la mesure où sont alternés couplets et refrain fixe, en nombre relativement importants, et sur un tempo rapide. Elle présente également un processus conclusif marqué par une longue coda371, consistant en la répétition sous différents modes, du thème du refrain.
  • la chanson Dis-moi , en plus de la variation du refrain, présente également un processus conclusif marqué par une coda, dont la spécificité est qu’elle est, du point de vue du matériau musical, strictement identique à l’introduction.

Ainsi l’examen, même rapide, de ces quelques chansons montre que leur structure musicale, bien qu’elle se laisse facilement appréhendée par les connaissances empiriques du genre, se particularise très souvent, à des degrés divers, dans des manifestations formelles spécifiques. Le plus souvent, ces particularismes sont déjà des indices signifiants pour l’auditeur : l’introduction chantée de Java constitue un acte énonciatif marqué, la coda de Dis-moi construit une clôture particulière du discours. Dans la chanson Avril et toi, la réitération du même groupement syntagmatique [C/R] cinq fois, dans un tempo rapide, donc dans une vitesse élevée de réapparition du groupement provoque inévitablement un tourbillon sonore particulier. Ces quelques remarques posent d’emblée cette évidence : la structure globale d’une chanson, considérée sur les trois pôles que nous avons désigné, et ce quelque en soit son originalité, est signifiante. En définitive, sur ces six chansons, seule Les yeux de ma mère répond sans grand particularisme à la macro-structure que nous avions posée. Il s’agira alors d’observer si, même dans ce cas, la structure porte dans ses fonctionnements des indices d’émergence du sens. Ceci étant, l’auditeur est ici, dans l’ensemble de ces chansons et du point de vue structurel, en terrain plus que connu, ce qui n’est pas forcément le cas pour les autres chansons du corpus.

Notes
370.

Voir annexe, p. 395 à p. 406.

371.

Une coda se définit comme une partie conclusive d’un morceau de musique. Elle constitue pour elle-même une ou plusieurs périodes dans l’organisation temporelle du musical.