1.2.Chansons à structure « déviante »

Les sept autres chansons du corpus ne se laissent effectivement pas appréhender aussi aisément dans une systématisation en alternance couplets / refrains, et développent des structures originales sur un point ou un autre. Des paradigmes sont évidemment reconnaissables, mais leur statut est plus flottant, et l’organisation des répétitions des thèmes musicaux, ainsi que leur relation avec la composante verbale sont, à des degrés divers, plus complexes. Nous recensons les points principaux372 :

intro [A] pont [B] pont [A] coda

La partie A décline la répétition d’un thème A’ (A=A’+A’), la partie B renferme le second thème et le passage modulé. La réitération des données verbales n’est manifestée que sur le premier A’ de la partie A.

intro [C/C/R] [C/C/R] pont [C/C/R] pont [C/R] pont [C] coda

Cependant, cette structure qui paraît relativement standard, développe de nombreuses particularités. Tout d’abord, l’appréhension des thèmes elle-même n’est pas facilitée, la dimension mélodique vocale étant clairement traitée en « dit » plutôt qu’en « chanté », ce qui implique une identité mélodique difficile à appréhender, et sujette à des manifestations vocales d’ordre prosodique plutôt que musical. Quant à l’instrumentation, réduite au duo piano-contrebasse, elle développe un jeu répétitif, celui du piano, qui n’incite pas au découpage paradigmatique. De plus, différentes particularités apparaissent dans la manifestation des paradigmes. R présente une quasi identité verbale sur sa deuxième et quatrième occurrence, sa première occurrence est majoritairement musicale (ponctuée par un vers à la fin de chaque motif), sa troisième occurrence est complètement innovante sur le plan verbal. Par ailleurs, les connecteurs se classent en deux types d’occurrences musicalement marquées, de par leur timbre et leur dimension temporelle : connecteurs longs joués au piano (intro, dernier pont), connecteurs courts joués à la contrebasse (premier et second pont), la coda actualisant un croisement des deux types (court et au piano). Enfin le processus conclusif est entamé tôt dans la chanson, et progressif (C/R puis C puis coda). En définitive, la nature à la fois répétitive, et ponctuellement changeante de la composante musicale, ainsi que son organisation globale, incite à une appréhension syncrétique du sonore en déroulement linéaire, corroborée par la prolixité de la composante verbale, qui de fait déroule son programme narratif.

La malle en mai (Les Hurlements d’Léo)375 : la structure de cette chanson se particularise sur deux points essentiels, une introduction musicale exceptionnellement longue (une minute), une structuration en deux groupements syntagmatiques (A et B), constituant une partie, jouée deux fois quasi à l’identique (tant sur le plan musical que sur le plan verbal), comme si l’on jouait deux fois la même chanson. On obtient la structure globale suivante :

intro([A] pont [B] pont)([A] pont [B] pont)coda

Les jonquilles  (Polo)376 développe une structure en A-B-A, où A est constitué de deux occurrences d’un même thème (A=A’+A’), et B constitue un thème unique temporellement particulièrement court au regard de A, ce qui lui confère une certaine brièveté d’apparition :

intro [A][B] pont [A] coda

Autre particularité structurelle de cette chanson : une coda longue (54 secondes).

Berceuse insomniaque (Paris Combo)377 : cette chanson actualise ce que Spyropoulou nomme un refrain intégré378. De fait, elle développe deux thèmes A et B, dont le groupement [A-B] est réitéré trois fois, et où B intègre un motif conclusif, marqué entre autres par son identité verbale dans les trois occurrences :

intro [A][BRi][A][BRi] pont [A][BRi]

Louise (Fersen)379 se construit sur la réitération par trois fois d’un schème A-B, où la partie A consiste en la répétition d’un même thème A’ (A=A’+A’) et où B renferme un thème spécifique B’ auquel s’adjoint le thème A’ (B=B’+A’). Cependant, dans B, le thème A’ est verbalement incomplet sur les deux premières occurrences. Le processus conclusif se manifeste par l’amorce d’une dernière et quatrième occurrence du schème principal, pour lequel est actualisé uniquement A’. On obtient :

intro [A][B][A][B] pont [A][B] pont [A’]

St Vincent  (Têtes Raides)380 : cette chanson présente une structure qui peut sembler relativement classique. On y repère en effet un refrain détaché fixe, auquel est assigné un thème spécifique, et des paroles réitérées à l’identique concernant sa composante verbale, ce refrain apparaissant deux fois. Cependant, le second thème développé se laisse difficilement appréhender par sa dimension mélodique syncrétique dans la mesure où les données verbales s’y répartissent de manière originale et non régulière. Par conséquent, l’identification de « couplets » est sujette à caution. Dès lors, hormis le repère structurel que constitue le refrain, la structuration de cette chanson reste flottante, ceci étant dû à une gestion spécifique de la carrure. Sans détailler les composantes de A, partie hors refrain, l’on obtient la schématisation rudimentaire suivante :

intro [A] [R] pont [A][R] pont [A] coda

Par ailleurs, cette chanson présente une introduction exceptionnellement courte (deux mesures, à peine trois secondes) et une coda musicalement marquée.

Notes
372.

Nous nous contentons ici d’une description très générale. La structuration des chansons apparaîtra de manière plus détaillée et plus précise lors des analyses les concernant.

373.

Le Baron Noir (Arthur H), voir annexe, doc. 2, p. 395.

374.

Vélo (Bénabar), voir annexe, doc. 3, p. 396.

375.

La malle en mai (Les Hurlements d’Léo), voir annexe, doc. 5, p. 398.

376.

Les jonquilles (Polo), voir annexe, doc. 8, p. 401.

377.

Berceuse insomniaque (Paris Combo), voir annexe, doc. 10, p. 403.

378.

« Le premier trait par lequel s’opposent le refrain détaché et le refrain intégré consiste en leur volume respectif. Le refrain détaché est long, le refrain intégré est court. Cette différence est fondamentale ; il en découle une deuxième, qui concerne leur structure : le refrain détaché possède en propre une structure complète, qui confère à la série de vers qui le composent une cohésion indépendante de celle des couplets ; le refrain intégré type, d’un seul vers, présente une structure indigente, incomplète, qui ne peut se suffire à elle-même, et qui prolonge celle du couplet ou qui s’y greffe. En bref, le refrain détaché est caractérisé par l’autonomie, le refrain intégré par la dépendance. » (Spyropoulou, 1998 : 124).

379.

Louise (Fersen), voir annexe, doc. 13, p. 406.

380.

St Vincent (Têtes Raides), voir annexe, doc. 12, p. 405.