3.2.Le mètre en liberté : St Vincent (Têtes Raides)409 

Comme nous l’avons montré dans les analyses précédentes, la gestion du temps musical et la carrure qui en découle offrent une structuration du flux sonore que l’auditeur est susceptible de saisir pour son appréhension des chansons, et qui par conséquent fait partie intégrante de la cohérence qu’il fonde de l’objet. Les rapports comptables que nous mettons en avant pour évoquer la carrure des chansons résultent, nous l’avons vu, de la combinatoire d’un ensemble de données, rythmiques, harmoniques, mélodiques, verbales. Dès lors, ils constituent à la fois le reflet de la structure globale d’une chanson, dans son unité discursive, et son mode d’existence physiologique pourrions nous dire, du fait qu’il s’agit de temps écoulé et de scansion ressentie. L’auditeur est susceptible d’élaborer son vécu métrique par la voie du corps « scandant », l’inscrivant ainsi dans une perception caractérisée des différents paradigmes. Ainsi par exemple, dans la chanson des Négresses vertes, la latence de la mesure à deux temps sur les couplets, et sa disparition sur les refrains crée là encore une potentielle projection de l’expérience physiologique sur la dimension sémantique, dans une dialectique progression / cycle, par exemple. Par ailleurs, du point de vue de l’instauration du tout de signification, des attentes se créent également dans les stratégies de l’auditeur, qui lui permettent d’anticiper, de pressentir, de saisir enfin, cette structuration temporelle, entre autres au travers du ou des schèmes métriques récurrents.

La caractéristique essentielle de la chanson des Têtes Raides, St Vincent, réside nous semble-t-il dans le fait que, la carrure y étant inégale, et l’organisation du temps musical construisant des unités temporelles instables, l’auditeur est susceptible d’instaurer un vécu métrique en quelque sorte directement dicté par l’écoute en acte de la chanson. En d’autres termes, dès lors que l’organisation temporelle déstructure constamment les équivalences paradigmatiques, il ne peut systématiser son appréhension métrique, et est contraint de la vivre linéairement, selon les points d’appuis manifestés dans le temps de l’énonciation musicale. Les stratégies de cohérence qu’il est alors susceptible de mettre en place, au vu des propriétés que nous avons mises en évidence de la perception mesurée, l’amènent à instaurer un tout de signification métriquement original et signifiant. C’est ce que nous allons montrer dans l’analyse qui suit.

Notes
409.

Voir annexe, doc.12, p. 405.