1.4.Conclusions

À l’évidence, cette chanson construit une représentation sonore de type iconique, et sollicite la dimension connotative de la musique. L’isotopie haut/bas inhérente aux hauteurs toniques y est particulièrement prégnante, et fournit évidemment un outil efficace de mise en place d’une figurativité. Par ailleurs, tous les éléments que nous avons expliqués peuvent caractériser la dimension sonore et musicale de cette chanson comme une sorte de macro-commentaire du discours verbal, et une connotation du parcours figuratif des figures manifestées dans le discours, le « baron noir » et le « je » narrateur. Pourtant, il nous semble non seulement qu’une telle interprétation des éléments analysés serait simpliste, mais également qu’elle ne prendrait pas en compte la spécificité, ni de la matérialité de l’objet, ni de la praxis énonciative dans laquelle il est impliqué. En effet, l’auditeur saisit l’ensemble des éléments, et construit sa cohérence discursive en même qu’il en établit sa cohésion sensible. Certains éléments nourrissent directement la dimension sémantique, comme la construction de la figure sonore, la structure musicale globale déviante, la gestion du temps musical signifiante, ou la relation caractérisée entre mélodie chantée et mélodie instrumentale. Ces éléments constituent autant de modes d’émergence du sens. Cependant, la valeur figurative portée par la figure sonore, ainsi que par l’utilisation des bruits électroniques, enclenche selon nous non pas un « décryptage connotatif » des éléments musicaux, mais un processus d’appropriation du discours en tant qu’univers imaginaire fait de sons. Il nous semble en effet que cette chanson construit un type de figurativité, dont nous dirions avec Greimas qu’elle :

‘« […] n’est pas une simple ornementation des choses, elle est cet écran du paraître dont la vertu consiste à entrouvrir, à laisser entrevoir, grâce ou à cause de son imperfection, comme une possibilité d’outre-sens. Les humeurs du sujet recouvrent alors l’immanence du sensible. »461

Dès lors qu’elle est de nature sonore, cette figurativité ne constitue qu’un « paraître sonore », qui agit comme un artefact efficace pour provoquer l’imaginaire de l’auditeur. L’espace multidimensionnel émergeant de la dimension sonore globale constitue alors une représentation sonore de cet univers imaginaire que l’auditeur est susceptible d’investir. L’auditeur est saisit par le son, qui le mène dans ses rapports de hauteurs, dans ses étendues, dans ses profondeurs. En effet, cette représentation l’implique directement en tant que sujet percevant, dans la mesure où l’espace sonore ainsi construit le sollicite en tant que « corps écoutant » placé « dans le son ». Par conséquent, cet univers imaginaire composé pour lui, ne devient le sien que s’il se « laisse prendre » par les sons qui le construisent. C’est alors que ses « humeurs » recouvrent « l’immanence du sensible », ainsi que le précise l’auteur, et qu’il investit l’univers sonore de son propre imaginaire.

Enfin, l’énonciation de cette chanson nous semble enclencher un phénomène particulier, susceptible d’intervenir lors de son écoute itérative. L’univers imaginaire que l’auditeur saisit en même temps qu’il est saisi par lui, reste inévitablement occupé par un autre Sujet du monde, sujet dont la présence est incarnée par la voix chantée. Cette présence est clairement signée Arthur H, par la performance vocale spécifique, qu’il n’est pas aisé d’égaler. Cependant, le traitement réservé à sa voix, traitement musical autant que sonore, en fait avant tout un outil sonore, constitutif d’une ambiance mystérieuse et « planante ». Partant, la difficulté que peut avoir un auditeur à chanter lui-même la chanson en l’écoutant, peut l’inciter, lors de l’écoute, à la vivre comme une expérience de l’imaginaire, plutôt qu’à l’interpréter comme objet de discours. Le fait que, s’il veut chanter des parties de cette chanson, il trouvera dans la prégnance mélodique des cordes des lignes mélodiques plus facilement interprétables, incite encore à cette interprétation singulière de l’acte énonciatif d’écoute.

Notes
461.

Greimas, 1987 : 78.