1.2.Interprétation de la cohérence au regard de la pratique d’écoute

Nos analyses ont donc montré que l’efficience du « format chanson » réside dans le fait que l’auditeur, en instaurant le tout de signification, saisit des écarts et des ajustements par rapport à ce format, écarts et ajustement qui produisent du sens. Le sens dont il est question ici, dès lors qu’il émane de processus dynamiques, de mises en relation internes et externes, n’est pas à appréhender en termes de catégories du plan du contenu. Il se dégage des phénomènes musicaux saisis, et relève de ce que Geninasca nomme des « opérations de transsubstantiation » de ces phénomènes sur la dimension sémantique. En d’autres termes, l’instance énonciative, dans sa saisie des relations et processus par laquelle elle construit la cohérence de la totalité audible, est susceptible de convertir ces relations et processus en grandeurs signifiantes dynamiques. Signifiantes, parce que les relations et processus ainsi saisis sont caractérisés, en termes de modalités de prégnance, de dialectique norme / écart, de tensions paradigmatiques, d’ordonnancement syntagmatique ; Dynamiques, dans la mesure où l’auditeur procède par ajustements incessants selon une finalité, celle de construire la cohérence ; Dynamiques également parce que ces grandeurs sont susceptibles d’accueillir des valeurs réalisées et investies lors de l’écoute actuelle, et donc solidaires de l’expérience ponctuelle, et en relation directe avec le vécu hic et nunc de l’auditeur.

En définitive, l’étude de la saisie globale du musical nous permet de préciser la nature du « comprendre » de l’auditeur, dans la pratique ordinaire d’écoute qu’il a de l’objet, distraite et itérative. Si l’on considère que l’écoute d’une chanson est toujours une expérience de l’écoute actuelle, en même temps qu’elle n’est jamais une écoute originelle,il nous apparaît, dans ces conditions, que ce « comprendre » peut correspondre à une dialectique entre la perception mémorisée et la perception actuelle de l’objet. Il y aurait alors, lors de l’expérience d’écoute, une saisie en quelque sorte « statique » des significations, et une saisie « dynamique » du sens. La saisie « statique » des significations correspondrait schématiquement à la saisie du plan du contenu de la dimension verbale, par le biais de l’expression vocale : ce que signifie telle chanson, au travers des figures acteur/temps/espace, de la thématisation de ces figures, de la construction de ses isotopies et de son micro-univers. Ces contenus forment alors le substrat référentiel de l’univers sémantique de la chanson, connu et reconnu par l’auditeur dans ses écoutes répétées. Pour autant, dans l’écoute actuelle, cette saisie « statique » se trouve modalisée par l’expérience vécue de l’écoute, expérience nécessairement musicale, et par l’instauration effective de la totalité sonore comme discours intelligible. Dès lors, ce « comprendre » intègre à la signification discursive globale une dimension subjective inhérente, de laquelle les opérations de transsubstantiations sont investies, au travers de l’acte d’écoute même, qui place alors l’instance énonciative au cœur des processus interprétatifs.

En définitive, à la question « peut-on corréler le « comprendre » de l’activité d’écoute de l’auditeur à l’instauration qu’il fait de la cohérence intelligible », il nous semble justifié d’apporter une réponse positive, à la condition d’intégrer dans cette cohérence intelligible de l’objet une dimension subjective inhérente à l’expérience de son écoute, et partant inhérente à l’instance énonciative, considérée dans ses deux pôles : l’énonciateur en tant qu’il incarne la voix-substance, par laquelle transmutent tous les processus sémiosiques en jeu dans la constitution de cette cohérence ; l’énonciataire en tant qu’il instaure cette cohérence lors de cette expérience d’écoute.