1.1.1.b. Les approches psychologiques et les approches cognitivistes

On conçoit la fidélité psychologique comme « la mesure selon laquelle le simulateur produit un comportement semblable à celui exigé dans la situation réelle » (Leplat, 1992). Il s’agit en d’autres termes de « la proportion dans laquelle la tâche simulée engendre une activité psychologique identique à celle de la tâche réelle » (Patrick, 1992).

On doit donc pouvoir s’attendre à ce que la fidélité psychologique entre la situation recréée et la situation réelle s’avère efficace, et améliore les performances des sujets. Car dans ce cas, le sujet retrouve ses repères, le contexte plus proche de la réalité lui paraît plus familier, il a donc plus de facilité pour concentrer son activité sur la tâche et non plus sur l’environnement.

En 2003, Riva et Wateworth ont abordé la notion de la présence dans une approche neurobiologique, décrivant le rôle et la structure de la présence. Tout d’abord, les auteurs considèrent la présence comme un processus nécessaire à la définition de l’individu en tant qu’être à part entière : en effet, sans apparition du sens de la présence au monde, il serait impossible pour le système nerveux d’identifier la séparation entre les événements issus du monde externe et ceux issus du monde interne. C’est par le biais de l’expérience de la présence que l’individu peut apprendre à identifier cette distinction, et ainsi mieux appréhender le monde dans lequel il évolue et existe. En second lieu, même si l'expérience du sens de la présence est un sentiment ressenti d’un point de vue individuel, il est possible d’analyser ce concept pour le spécifier comme s’articulant selon « trois couches de Présence ». Ces différentes “couches” décrites par Riva et Waterworth sont définies comme strictement reliées aux trois niveaux de l’être déterminés par Antonio Damasio dans son ouvrage "Le sentiment même de soi", (1999). Dans la continuité de son étude sur l’unité du corps et de l’esprit, Damasio articule ses travaux autour des concepts du moi (ou du soi) et de la conscience de soi au sein de son environnement. Damasio décrit trois différentes catégories de soi : le proto-soi, la conscience de noyau et le soi-central.

Le proto-soi résulte de l’interconnexion cohérente, mais temporaire, des différentes cartes cérébrales représentant l’état de l’organisme à un moment donné. On retrouve dans cette notion une idée proche du concept de « marqueurs somatiques » déjà décrit par l’auteur en 1995 dans « L’erreur de Descartes ». Le proto-soi donnerait de la cohérence à l’organisme en tant qu’un tout global, et non en tant qu’un assortiment de sous-ensembles indépendants. Ce premier niveau dans la description du soi serait le niveau le plus primitif. Il s’agirait d’un niveau non conscient.

La conscience de noyau, deuxième niveau du Moi (dit "core self"), émerge dès lors qu’un élément ou événement extérieur entre en interaction avec l’organisme, modifiant ainsi l’état de ce dernier mais aussi du proto-soi. Damasio écrit : « il y a production de conscience-noyau lorsque les dispositifs de représentation du cerveau engendrent un compte-rendu en image, non verbal, de la manière dont l’état de l’organisme est affecté par le traitement d’un objet (par le cerveau), et lorsque ce processus met en valeur l’objet en le plaçant dans un contexte spatio-temporel ». L’émergence de la conscience dépend de nouvelles connaissances relatives aux interactions entre les objets et l’organisme. Les « objets » pouvant être des informations endogènes issues des modifications de l’état de l’organisme lui-même. Le point essentiel ici est le caractère constamment évolutif de la conscience - puisque cette dernière est issue d’un flux d’informations perpétuellement régénéré.

Enfin, le soi-central, est décrit comme un centralisateur ; lui-même issu de la conscience-noyau, il permet l’émergence du soi autobiographique. Cette dernière couche de l’Individu est constituée de souvenirs ou d’expériences passées, plus ou moins implicites, mais aussi de ce que Damasio nomme des souvenirs futurs. Il s’agit de simulations de ce qui pourrait se produire en fonction de ce qui s’est déjà produit dans le passé et des états présents du corps.

Ainsi les différentes "couches" de la Présence décrite par Riva et Wateworth, chacune relative aux couches de l’individu, résoudrait une facette particulière de la séparation entre monde interne et externe.

Le sens de la présence serait par conséquent une activité directement issue des trois niveaux de l’individu : plus les différentes couches sont intégrées entre elles et à l’individu, plus elles permettent d’identifier et de séparer monde interne et monde externe, et plus l’individu éprouve le sentiment de présence.

En 2003, Waterworth et Waterwoth dans leur article "the core of presence - presence as a perceptual illusion" redéfinissent la présence comme le sentiment d’être dans un environnement externe particulier, « ici et maintenant ». Selon cette approche, la Présence est donc rattachée au présent, et se démarque totalement de tout mécanisme proche de l’imagerie mentale.

A son origine, la présence serait le sentiment induit par les attentes perceptuelles vis-à-vis du monde extérieur, dans le temps et l'espace, en dehors de nous-mêmes. La présence médiatisée, c'est-à-dire induite ou provoquée par les médias, est principalement l'illusion perceptuelle d'être dans un monde externe et éventuellement commun à d’autres. Il ne s’agit donc pas d’une "expérience de pensée" interne et imaginaire. Cependant la présence est très souvent plus que de la perception, et la présence médiatisée plus qu’une illusion perceptuelle. À la différence des illusions visuelles classiques, l’illusion d’être présent quelque part implique la contribution de la conscience. Pour induire le sentiment de présence, il ne faut pas seulement tromper le système perceptif, il faut aussi leurrer une partie de la conscience du sujet.

Néanmoins, Waterworth et Waterwoth (2003) conviennent que la présence est toujours un concept vague. La principale controverse étant issue de la définition de la présence, et de ce qu’elle doit inclure et exclure. Ils ont par conséquent adopté leur propre définition afin de poursuivre leurs travaux sur le rapport entre présence et émotion médiatisée, dans un contexte de recherches sur la santé mentale : la présence est alors définie comme la sensation subjective d'être là, dans un environnement négocié rapportant une illusion perceptuelle de la non médiation, c'est-à-dire le ressenti perceptif d’être dans un lieu réel et non dans un site créé par le média.

La présence ainsi caractérisée, peut être partagée par deux observateurs ou plus, percevant le même monde externe (bien que, naturellement, leurs expériences ne seront pas identiques). Ceci soutient la notion de coopération dans l'action coordonnée dans le monde, réel ou virtuel. Ce n'est pas le cas avec les visualisations internes, qui doivent être externalisées, exprimées, sous une forme explicite pour être partagées. Cette définition de la présence exclue donc les représentations internes et conceptuelles, ce qui peut être controversé. Il paraît difficile d'écarter le processus d’imagerie mentale de celui de la présence, même en considérant que l’illusion peut être commune. En effet, si l’imagerie mentale est un mécanisme personnel, issu des représentations internes, les objets ou lieux imaginés, créés par la simulation mentale, peuvent avoir des caractéristiques communes chez tous les individus. Supposons que l’environnement négocié (c'est-à-dire représenté par le média) soit une aire de jeux ou de pique-nique dans un petit bois. Rien ne prouve que la sensation subjective, éventuellement partagée, d’être dans le bois représenté par la simulation, ne soit pas issue des expériences personnelles vécues de l’utilisateur, combinées à des représentations mentales qui n’ont pas été réellement vécues. Il ne nous semble donc pas possible d’exclure les mécanismes mnésiques et d’imagerie mentale du phénomène de Présence.

Pour Botella, Baños, & Alcañiz (2003) la présence s’étudie selon une approche qu’ils qualifient de psychologique. Il existait déjà depuis la fin des années 90, un renforcement de l’intérêt à considérer la présence comme un phénomène psychologique (Schubert, Friedman et Regenbrecht, 1999 et 2001). Par exemple, selon Slater et Wilbur (1997), la "présence est un état de conscience, le sens d'être dans l'environnement virtuel". Même s’il nous semble comme Botella et al. (2003), que la Présence doit être définie dans une perspective psychologique, les modèles théoriques courants continuent à considérer le sens de la présence d’un point de vue plutôt ergonomique : comme une fonction directe de la capacité d'immersion du système. La plupart des tentatives de définition de la présence sont principalement concentrées sur une seule part du binôme présence / immersion considérée par Slater (2003), et donnent ainsi un rôle central au milieu.

De la même manière, en essayant d’identifier le rôle du traitement humain, la proposition de Lombard et de Ditton (1997) qui décrivent la présence comme issue "de l'illusion perceptuelle et non de la médiation" est également portée sur le milieu. En effet, leurs travaux étaient orientés vers une définition du rôle du média dans l’induction du sentiment de présence.

Pour conclure sur les conceptions psychologiques de la présence, on peut rappeler les propos de Steuer en 1992. Il avait alors insisté sur le fait qu'une définition de la présence dans la Réalité Virtuelle concentrée sur des aspects technologiques était insuffisante, et défendait l’intérêt et la nécessité de parler d'une expérience humaine. Ses travaux ont longtemps été concentrés sur l'analyse des facteurs qui ont une influence sur cette expérience humaine.

Néanmoins, selon Botella et al. (2003), présumer d’une relation linéaire entre la présence et l'immersion pourrait être une erreur. Comme Schubert et ses collaborateurs le précisaient en 2001, il est plus judicieux de considérer qu’une série de processus cognitifs négocient l'effet du degré d'immersion en produisant la présence chez l'utilisateur. Botella et ses collègues n'envisagent pas alors d'exclure l'autre partie du binomial, c’est-à-dire, l’immersion telle que décrite par Slater. Pourtant ils considèrent que les aspects technologiques ne peuvent suffire à induire le sens de la présence. Ils estiment qu’il est nécessaire de considérer des concepts tels que la conscience, le jugement de réalité, la mémoire, l'attention, la signification de l'expérience, les émotions, et les différentes dimensions de la personnalité de l’utilisateur.

De la même façon, en 1999, l’approche de Huang & Alessi soulignait déjà l’intérêt de comprendre les interactions entre présence et état émotif. Le but était d’examiner le concept de présence en termes d’enclenchement émotionnel des sujets entre la réalité et leur environnement. Huang & Alessi (1999) défendent l’idée selon laquelle n'importe quelle théorie de la présence devrait tenir compte des facteurs émotionnels.

Cependant, pour Ijsselsteijn (2001) la Présence, l'expérience "d'être là" dans un environnement négocié, est étroitement liée à la Réalité Virtuelle elle-même : à la simulation. En effet, comme les médias deviennent de plus en plus interactifs, perceptuellement réalistes, et immersifs, l'expérience de la présence devient plus convaincante. Cela étant dit, Ijsselsteijn, Ridder, Freeman et Avons (2000), ont défini des « déterminants de la présence », qui fournissent des pistes de travail non négligeables. Ils décrivent ainsi quatre « déterminants », ou facteurs :

1. L'ampleur et la fidélité des informations sensorielles : sous le terme d’ampleur on doit comprendre la capacité d'une technologie à produire un environnement négocié riche sur le plan sensoriel. La fidélité faisant référence à la bonne « imitation » de la réalité.

2. L’adéquation entre les sens et l’exposition, c'est-à-dire la concordance, ou encore congruence, entre les actions de l'utilisateur et les effets spatio-temporels perceptibles de ces actions.

3. Les facteurs de contenus : il s’agit d’une catégorie de facteurs très large, comprenant les objets, les acteurs, et les événements représentés par le milieu, ainsi que la possibilité et l’habileté de l’utilisateur d’interagir avec l’environnement et de le modifier.

On inclut aussi dans cette catégorie la fidélité de la représentation de l’utilisateur dans le monde virtuel, ainsi que la nature des tâches réalisables dans l’Environnement Virtuel.

4. Les caractéristiques de l’utilisateur : le terme caractéristique définit ici les capacités cognitives, sensorielles et motrices, l’habitude de manipuler des Environnements Virtuels ou les expériences passées avec des EV, les attentes du participant vis-à-vis des EV, ainsi que la bonne volonté de l’utilisateur à bien vouloir se laisser « leurrer ». Enfin il est très possible que les caractéristiques interindividuelles tels que l’âge ou le sexe aient une influence, de même que les états mentaux ou émotionnels de type dépression, anxiété ou désordre psychotique puissent affecter le sentiment individuel de la présence (Huang & Alessi, 1998).

Toutefois, et malgré ces définitions précises et pragmatiques, Ijsselsteijn souligne qu’il est particulièrement intéressant de noter que nous pouvons nous sentir présents, et répondre en conséquence de cette sensation par des comportements spécifiques ou adaptés, dans des environnements simulés qui ne seraient jamais confondus avec la réalité si nous devions être interrogés à ce sujet. Même des mondes simulés très pauvres en détails, pour lequel l’informatique fournit une Réalité Virtuelle, semblent être parfois suffisants d’un point de vue perceptif. On sait par exemple que malgré une interface très pauvre du point de vue du réalisme, les pilotes d’avions réagissent dans un simulateur comme dans une « vraie » situation d’urgence. Ils reproduisent les mêmes gestes parfaitement adaptés à la situation dans la réalité, mais aussi les mêmes réactions physiologiques de stress (augmentation de la température corporelle et de la conductance de la peau, augmentation du rythme cardiaque) (Ijsselsteijn, 2001, Burkhardt, 2004).

Il semble que ce soit sur ce fait précis que nous devions centrer nos efforts de recherche. En effet, c’est l’explication de ce mécanisme qui peut permettre de comprendre les processus cognitifs impliqués dans l’émergence du sentiment de Présence. Car, lorsque l’on considère les aspects sensoriels fournis par la Réalité Virtuelle, parfois minimalistes, il apparaît clairement que l'expérience n'est pas régie seulement par l'entrée sensorielle ascendante, mais que les connaissances top-down appropriées interagissent avec les signaux d'entrée, pour construire une représentation mentale apparente de l’espace, logique et complète.

De plus, il paraît aussi important de prendre en compte l’effort fourni par l’individu pour se projeter dans l’environnement virtuel, alors qu’il est conscient de ne pas y être réellement. Le contexte dans lequel est plongé l’individu et sa bonne volonté à accepter de se laisser "duper" par la simulation jouent un rôle essentiel, de même que l’aptitude de cet individu à se mettre à une place différente de celle où il se trouve réellement, et à s’imaginer dans une situation autre. Nous avons alors supposé que cette capacité d’imagination pouvait être liée au contexte dans lequel se trouve l’individu, de même qu’à sa propension à se mettre à la place d’autrui, et à la notion de conscience.