1.2. Effet de contexte et rôle de l’émotion

Les environnements virtuels et les situations simulées créées constituent un contexte. Une simulation pouvant être comparée à la réalité doit donc provoquer les mêmes effets de contexte que la situation réelle. Vérifier ces effets peut être un moyen d’observer objectivement si un sujet réagit de la même façon que s’il se trouvait dans la réalité, et donc s’il est « présent » dans la simulation.

L’approche cognitive du comportement humain souligne la nécessité de prendre en considération le contexte, c’est-à-dire à la fois le problème ou la situation à traiter ainsi que l’environnement dans lequel il s’insère. En effet, les différents éléments de l’environnement ou du contexte influencent notre perception et nos réactions. Ainsi le contexte peut être défini comme « l’ensemble des conditions qui accompagnent la réalisation d’un événement ou la réalisation d’un comportement ». Selon Tiberghien (1991), le terme de contexte renvoie à « l’ensemble des caractéristiques secondaires d’une situation ou les propriétés secondaires d’un état cognitif ou motivationnel susceptibles de moduler l’effet d’une stimulation ou d’une activité orientée ». L’existence des effets de contexte, souvent démontrés (Davies, 1986, Davies 1988, Godden & Baddeley 1980), est classiquement attribuée à l’intervention de processus de haut niveau, tels que les mécanismes mnésiques et/ou émotionnels. Ces effets ont été confirmés dans divers domaines : processus attentionnel, apprentissage, processus mnésiques, langage et lecture… En 1989, Murphy et Wisniewsky ont montré des effets de contexte sur la catégorisation de concept. Il a souvent été démontré qu’il est plus facile et plus rapide de catégoriser des objets isolés à un niveau basique qu’à un niveau super ordonné (par exemple, il est plus facile de catégoriser un animal en tant que canard qu’en tant qu’oiseau ou un objet en tant que table plutôt qu’en tant que mobilier). Si l’on s’en réfère à Hoffman (1982) ces résultats s’expliquent facilement : le niveau basique a en effet plus de chance de correspondre au concept primaire qui serait stocké en mémoire. Cependant, Murphy et Wisniewsky ont montré que cet avantage disparaissait lorsque les images à catégoriser étaient présentées dans des scènes complexes, c’est-à-dire dans un contexte situationnel adapté.

Effectivement, dans notre quotidien, quasiment tous les comportements impliquent une évaluation de la situation, et même une évaluation émotionnelle de la situation (notion de risque, évaluation esthétique, agréable ou désagréable, état psychologique ressenti, stress, colère, joie, etc…).

En fait, le contexte va permettre au système cognitif de se focaliser sur les informations pertinentes, ou d’inhiber ce qui au contraire ne présente pas d’intérêt, et va ainsi faciliter l’évolution du sujet dans son environnement ainsi que les tâches même automatiques et ou quotidiennes qu’il a à réaliser. Cet effet du contexte constitue une trame qui va permettre la création et le stockage de concepts et de connaissances reliés aux situations dans lesquelles les informations vont être vues, vécues et apprises (Yeh & Barsalou, 2006). Ainsi le contexte peut constituer un indice lors de tâches de rappel, de même que l’environnement dans lequel un sujet est exposé peut constituer un amorçage et faciliter par exemple la réalisation d’une tâche (rappel, reconnaissance, catégorisation) sur les éléments liés à la situation.

On voit ici que s’intéresser aux effets du contexte implique aussi de s’attarder sur les effets du contexte émotionnel et donc plus largement de prendre en compte les mécanismes émotionnels. S’il est vrai que l’état émotionnel dans lequel se trouve le sujet peut avoir un impact important au niveau comportemental en modifiant qualitativement les mécanismes cognitifs, plusieurs observations peuvent être faites. Tout d’abord le sujet peut préférentiellement orienter son comportement vers les informations qui correspondent à son état émotionnel (positif ou négatif). Notre objectif dans cette thèse n’est pas de décrire exhaustivement ces mécanismes. Nous nous centrerons donc sur les effets possibles en lien avec les mécanismes mnésiques car ce sont ceux qui nous intéressent ici. Ainsi les liens entre émotion et mémoire sont généralement exprimés en termes de “congruence d’humeur” ou congruence émotionnelle et de concordance émotionnelle, ou “dépendance d’état”. Le premier terme désigne la tendance d’un individu à récupérer plus facilement des informations de valence similaire à la valence de l’état émotionnel dans lequel il se trouve. Ceci a été montré en récupération explicite (pour une revue, voir Bower, 1981), mais aussi en récupération implicite (Watkins, Vache, Vernay & Muller, 1996). En d’autres mots, l’état émotionnel oriente la récupération en mémoire en direction des informations associées à un état similaire. Ce phénomène n’est probablement pas spécifique à l’émotion. N’importe quel contexte conditionne la nature des connaissances qui émergent d’une situation donnée. Toutefois, ce contexte est peut-être plus efficace lorsqu’il est rattaché à un état émotionnel.

Le terme de dépendance d’état fait référence à la récupération plus efficace d’une information lorsque l’état émotionnel au moment de la récupération est similaire à l’état émotionnel au moment de la mémorisation. Il s’agit là aussi d’un cas particulier de l’influence du contexte sur la mémoire (voir le principe de la spécificité de l’encodage proposé par Tulving & Thomson, 1973). Si le phénomène de congruence d’humeur ne soulève aucune controverse, le phénomène de dépendance d’état n’a pas toujours été confirmé, probablement en raison des multiples facteurs qui conditionnent les effets de similarité entre contexte d’encodage et contexte de récupération (état émotionnel, mais aussi contexte situationnel, traitements effectués, etc). Ce phénomène ne peut être mis en évidence que si les influences des autres facteurs sont suffisamment contrôlées.

Pour étudier le rôle de l’émotion dans les mécanismes mnésiques, certains travaux ont essayé de manipuler l’état émotionnel des participants. Ainsi, Niedenthal (1999) a démontré qu’en induisant un état positif ou négatif (avec des ambiances musicales), les participants à une tâche de mémorisation d’une liste de mots connotés émotionnellement rappellent plus facilement les mots dont la connotation correspond à l’émotion induite par la musique.

Il nous a semblé essentiel de prendre en compte dans nos travaux ces effets liés au contexte et à l’émotion. En effet, les environnements virtuels constituent par essence un contexte ; de même que leur réalisme et les représentations qu’ils peuvent activer chez le sujet immergé et exposé sont étroitement reliés aux émotions - et ceci d’autant plus que lors de nos simulations, nous travaillons sur la représentation du domicile, du lieu d’habitation des sujets : ce dernier aspect est très « personnel » car il implique l’intimité du sujet. Ainsi, le fait de travailler à la simulation du cadre de vie suppose une forte implication émotionnelle du participant dans la représentation qu’il se fait de l’environnement virtuel et de sa propre représentation dans le monde virtuel, c’est-à-dire la représentation qu’il a de lui-même dans la simulation.

Malgré le fait qu’elle n’a pas travaillé sur la notion de domicile ou d’habitation, mais sur les phobies et les thérapies d’exposition assistées par Environnements Virtuels, les études d’Evelyn Klinger (2006) nous ont particulièrement intéressées. En effet, cette dernière a démontré une corrélation entre le taux d’anxiété des sujets, la Présence ressentie dans le monde virtuel et le réalisme perçu, évalué. Cette corrélation entre anxiété, Présence et Réalisme avait déjà été montrée par Robillard et al. en 2003, puis par Bouchard et al. en 2005.

Il est par conséquent évident que le travail en psychologie cognitive sur les environnements virtuels doit prendre en compte le réseau complet des concepts et champs d’étude qui peuvent y être associés. La compréhension de la perception de la réalité virtuelle doit se faire avec une mise en relation et l’étude d’autres aspects de la psychologie, même si, parfois, ceux-ci peuvent paraître éloignés de la psychologie cognitive, comme les notions de conscience, d’empathie, d’imagination, d’imagerie, etc.