1.3. Empathie, Théorie théorique et Théorie de la simulation

En s'appuyant sur les différents champs d’application des environnement virtuels, sur l’importance du rôle des effets de contexte et des émotions, et toujours dans l’objectif de réaliser un travail de recherche théorique assez complet (même si nous ne pouvons garantir son exhaustivité), nous avons été amenée à nous intéresser à des thèmes de la psychologie tels que l’empathie, les différentes théories de l’esprit ou de la simulation mentale. En effet l’un des points qu’il semblait important de développer, était de comprendre comment un individu pouvait se représenter, lui même, tel qu’il est dans la réalité, ou comme un autre, mais dans un lieu simulé.

La capture d’un comportement, d’une émotion ou d’une expression perçue chez un autre, est presque toujours automatique, et le plus souvent inconsciente. Ce phénomène, qui s’obverse à des niveaux plus ou moins élevés, chez tous les êtres humains, peut être désigné par des termes aussi divers que mimétisme, empathie primitive, contagion émotionnelle, ou isopraxie, selon les disciplines et les chercheurs.

En Psychologie, l'empathie est définie comme la capacité d'une personne à ressentir les sentiments et les émotions d'une autre personne. Cette notion, à l’origine décrite par Vischer, a fait l'objet de nombreuses réflexions. Cosnier (1994) définissait l’empathie par la capacité à se mettre à la place d'autrui et à percevoir ses affects (empathie d'affects), à partager ses représentations (empathie de pensée) ou à partager ses actions et réactions (empathie d'action). Ces trois aspects pouvant être, à certains moments, confondus. Adamczewski, en 2005, évoque plus précisément, une capacité à reconstituer en soi, à la manière d'une simulation, sur un plan intellectuel comme sur un plan émotionnel, ce qui se déroule dans l'expérience d'autrui. Il s’agit donc en quelque sorte de la capacité à attribuer à autrui des états mentaux.

Dans l'étude des capacités humaines de mentalisation, ou d'attribution d'états mentaux à soi et à autrui, une controverse importante oppose les partisans de la "théorie de l'esprit" dite "Théorie de la théorie" (Leslie 1987, Gopnik & Wellman 1992 et 1994) et les partisans de la théorie de la simulation (Gordon, Goldman, Harris, cités par Davies & Stone, 1996).

La Théorie Théorique, ou Théorie des Théories, ou encore Théorie de l’Esprit, est une hypothèse sur le développement cognitif, selon laquelle les enfants humains élaborent des théories sur le monde qui les entoure. Pour cela, ils se basent sur les éléments qu’ils constatent, et développent des hypothèses puis des théories, qu’ils modifient ensuite dans le cas où celles-ci ne rendent pas compte de leurs observations. Les adultes cessent progressivement de fonctionner ainsi, mais un grand nombre de leurs capacités cognitives sont basées sur un corpus de croyances ou de connaissances, qui constituent des théories dites naïves (en anglais folk theory).

Dans une conception plus générale du fonctionnement humain, la théorie de la Théorie postule que la compréhension des intentions et états mentaux des autres s’effectue grâce à un processus d’associations et d’inférences sur les causes et conséquences du comportement d’autrui. Ce qui implique une rationalisation et une cascade de déductions associées les unes aux autres, et donc un processus complexe et de haut niveau.

Par opposition, selon la Théorie de la simulation, autrui est spontanément perçu et compris comme un autre soi. Cette capacité à se mettre à la place d’autrui est automatique : en présence d’une autre personne, le simple fait de la percevoir engage un processus de simulation (Dieguez, 2005). Il y aurait reproduction de l’activité cérébrale semblable à celle exprimée, et induisant les comportements d’autrui.

Cette conception est appuyée par l’identification de substrats biologiques particuliers : les neurones miroirs. Effectuer un geste ou observer quelqu'un faire un geste, implique l’activation des mêmes circuits neuronaux, c'est-à-dire des circuit qui commandent l’acte, et cela même si le sujet demeure totalement immobile. Les circuits neuronaux en question ont été appelés neurones miroirs, car ils reflètent l'activité cérébrale de la personne qui accomplit le geste. Ces neurones miroirs ont été localisés dans différentes régions du cerveau, dont le cortex prémoteur, et plus particulièrement l'aire de Broca. Les neurones miroirs seraient notamment à la base de l'apprentissage par imitation. Selon Théoret (2004), les neurones miroirs nous feraient non seulement reproduire mentalement ce que font les autres, mais joueraient également un rôle fondamental dans l'empathie en permettant d'éprouver ce que ressentent les gens. Les cellules miroirs expliqueraient pourquoi les émotions, tant le rire que la peine, sont communicatifs et transmissibles. Voir une personne s'esclaffer ou pleurer, provoque quasi automatiquement la même émotion chez un observateur.

Selon Berthoz et Jorland (2005), comprendre le mécanisme d’empathie revient en fait à comprendre les mécanismes qui permettent d’adopter le point de vue de l’autre en assimilant son vécu. Il s’agit d’un « processus dynamique d’interaction vécue qui exige simultanément d’être soi et un autre, de se vivre soi-même et en même temps d’adopter un point de vue hétérocentré, ou allocentré associé à un jugement» (Bachou-Levy & Degos, cités pas Berthoz, 2005).

Pour expliquer ce phénomène d’empathie Berthoz propose une analogie avec les capacités de traitement de l’espace du cerveau, et donc une correspondance entre chemins mentaux de la pensée et les cheminements du sujet dans l’espace. En effet, le fait de changer de point de vue revient à changer de référentiel, et donc à résoudre potentiellement un problème spatial (comme s’imaginer dans un autre lieu, ou changer de perspective comme lorsque l’on projette de déplacer les meubles dans une pièce et que l’on se représente mentalement les changements). Cependant pour l’auteur, la spatialisation de l’empathie est aussi nécessaire car la relation à autrui est aussi relative au processus de mémoire. L’empathie n’est pas une photographie figée, c’est à la fois une prédiction du futur, une comparaison au passé et une identification au présent.

Ainsi, il nous semble pouvoir dégager les idées suivantes, relatives à une théorie de la Présence. Tout d’abord, rien ne fait obstacle au développement d’une idée selon laquelle un mécanisme permettant d’attribuer à autrui des états mentaux, pourrait donner lieu à la possibilité de s’attribuer à soi-même d’autres états mentaux, potentiellement ressentis dans une autre situation, dans un autre environnement, et cela malgré une multitude de facteurs différents de notre vie réelle. La capacité de simulation, décrite dans la théorie de la simulation, peut aussi être considérée comme une capacité générale à se projeter dans une situation éventuelle ou hypothétique. Et ce, qu’il s’agisse d’une situation hypothétique vécue par un autre ou par soi-même. Par conséquent il semble cohérent de postuler de l’intervention de mécanismes proches voire similaires aux mécanismes d’empathie et de simulation mentale dans l’apparition du sentiment de présence. Cependant une question reste en suspens : quel est l’élément qui implique qu’un environnement ou un objet virtuel puisse être appréhendé par l’organisme comme étant réel et ainsi le leurrer alors qu’il est conscient d’être face à une simulation ? Il est donc inévitable d’aborder la notion de conscience pour considérer le problème de la Présence.