2.1.2. Perception et imagerie mentale : la Présence, un mécanisme d’imagerie avec support ?

Ce processus d’imagerie mentale est fondamentalement lié à celui de la perception. En effet la perception intervient non seulement dans le processus d’encodage des traces réactivées pour la construction de l’image mentale, mais aussi au niveau des mécanismes provoquant l’impression de voir ce qui est imaginé.

Le rôle de l’imagerie mentale dans l’amélioration de la performance motrice et l’apprentissage du mouvement n’est plus mis en doute : ainsi, les travaux de Collet (Xème congrès ACAPS, 2003) s’attachent particulièrement à identifier les déterminants de son efficacité. La nature des images construites (visuelles ou proprioceptives), les caractéristiques des sujets (capacités d’imagerie bonnes ou mauvaises, établies par des tests) et les contraintes de la tâche sont les variables étudiées. La pratique de l’imagerie proprioceptive s’est révélée plus efficace que la modalité visuelle. Les progrès sont plus marqués chez les bons imageurs et lorsque l’exercice réel a précédé le travail mental. Guillot, Collet et Dittmar (2003) ont étudié l’effet du niveau de pratique, des caractéristiques individuelles, des exigences de l’activité, ainsi que l’effet de l’environnement sur la qualité de l’imagerie. Celle-ci est attestée par des indicateurs physiologiques du système nerveux végétatif. Par exemple, les sportifs de haut niveau construisent des images mentales plus fines que les novices, le type de pratique mentale doit être choisi en fonction des caractéristiques individuelles des sujets et des exigences de leur sport. En 2006, Brouziyine et Molinaro démontrent les mêmes effets pour l’aide à la préparation des athlètes pongistes aux jeux Paralympiques d’Athènes de 2004. Mais quel que soit le type d’imagerie mentale étudié, l’activité cérébrale engendrée par la génération d’une image mentale est, au moins en partie, comparable à celle observée lors de la perception effective de l’objet imaginé.

En 2002, Michelon et Koenig ont mené deux expériences d'amorçage, utilisant une tâche d'identification perceptive, pour explorer l’éventuel chevauchement fonctionnel et représentatif entre images mentales visuelles et perception visuelle.

La première expérience, réalisée en deux temps, incluait une phase introduisant progressivement des cibles, certaines étant des objets perçus, et d’autres des objets à imaginer. Dans une seconde phase, une tâche d'identification perceptive devait être réalisée. Seulement la moitié des cibles de cette tâche faisait partie des objets utilisés dans la première session de l’expérience. (l’autre moitié était composée d’objets nouveaux, ni vus ni imaginés précédemment). L’activité d’imagerie (c’est-à-dire les images mentales) a primé, et donné lieu à de meilleurs résultats à la tâche d'identification, lorsque la consigne était de compter les parties des objets à imaginer dans la première phase de l’étude. Cependant, cet avantage disparaît lorsqu'il est demandé aux participants de se concentrer et de se focaliser sur la forme globale des objets. Ce résultat suggère que les images mentales entraînent des représentations perceptives identiques à celles impliquées dans la perception. Il suggère aussi que le chevauchement de la représentation entre images mentales et perception dépend du type d'images produites : par exemple, certaines images peuvent consister en des formes globales ou des concepts, tandis que d'autres peuvent consister en des représentations beaucoup plus détaillées, incluant des formes multi-parties.

Dans la deuxième expérience, les auteurs ont utilisé des objets entiers comme stimuli cibles afin de fournir aux sujets plus d'informations pour identifier des cibles masquées et ainsi réduire le traitement top down et ses effets. Les résultats ont alors montré que l'effet de l’amorçage par imagerie mentale tombe au-dessous du seuil significatif, suggérant que ce type d'amorçage est en grande partie issu d’un transfert de processus top down. Ceci permet d’argumenter en faveur du partage fonctionnel entre perception et imagerie mentale. En fait, de la même façon qu’il existe des neurones miroirs qui impliquent une simulation neuronale des activités d’autrui, imagerie mentale visuelle et perception visuelle partagent des processus et des sous systèmes fonctionnels (Kosslyn, 1977). Plus récemment, en 2006, Johansson, Holsanova & Holmqvist présentaient leurs expériences réalisées en 2004 démontrant que le mouvement des yeux reflète la position des objets imaginés dans une scène, alors que les participants sont soit en train d’écouter la description d’une scène, soit de se remémorer les récits d'une description de scène entendue auparavant, ou encore lorsqu’ils doivent décrire eux-même une image vue au préalable.

L’aspect de l’imagerie mentale qui a attiré notre attention est le rôle qu’elle peut jouer dans l’aide au raisonnement, à l’imagination et à la créativité. En effet, l’image produite est nécessaire à la résolution de tout problème faisant intervenir la visualisation de traits, de relations entre les objets et de localisation dans l’espace : elle offre la possibilité d’avoir accès aux informations relatives à des objets et à des situations non perçus, même auparavant. Selon Toussaint, Robin, Blandin, et Proteau (2003), la pratique par imagerie mentale s’accompagne d’une amélioration notoire de la performance, bien que dans une proportion moindre que celle associée à la pratique physique (Feltz et Landers, 1983 ; Hall, Buckolz et Fishburne, 1992). L’hypothèse du partage de représentations communes entre imagerie et pratique réelle a été validée par de nombreux travaux qui reposent sur des paradigmes expérimentaux variés, basés notamment sur des techniques de chronométrie mentale (Decety, Jeannerod et Prablanc, 1989 ; Decety et Michel, 1989), de mesures d’indices physiologiques (Decety, Jeannerod, Durozard et Baverel, 1993 ; Roure, Collet, Deschaumes-Molinaro, Delhomme et Dittmar, Vernet-Maury, 1999) et d’imagerie cérébrale (Decety et Grèzes, 2000 ; Ingvar et Philipsson, 1977 ; Sirigu, 1996). L’imagerie mentale aide ainsi à la résolution de problèmes même nouveaux. Il est par exemple possible à n’importe qui de s’imaginer arpenter un chemin qu’il n’a pourtant jamais emprunté précédemment et de décrire le paysage traversé (Houdé & al., 1998).

Cependant les phénomènes étudiés dans cette thèse, l’immersion et l’émergence du sentiment de présence du sujet ne reposent pas sur un traitement visuel pur, et ne résultent pas non plus uniquement d’un processus d’imagerie mentale, puisque la présence d’un support (la simulation) y participe. L'activité que nous proposons d’observer est celle de la mise en situation à partir d’un environnement mi-réel, mi-virtuel, à savoir un simulateur pleine échelle. Notre opinion est que l’imagerie mentale joue alors un rôle de médiateur entre la perception du stimulus et la réponse comportementale induite. C’est par ce processus que l’environnement suggéré, par le film ou la séquence projeté(e), doit être perçu tel qu’assimilé au réel, dans le scénario et la représentation que se construit le participant.