2.3. Perception du virtuel comme réel : Notion d’illusion et illusion perspective

L'ingénierie numérique actuelle offre une représentation formelle du monde parfois si réaliste, que l’on est en droit de se poser tout simplement la question de son caractère prétendument illusoire - même si aucun sujet ne confondrait le portrait photographique d'une personne avec cette personne elle-même.

La perception du virtuel, ainsi que la représentation de la réalité impliquent de s’attarder sur les thématiques d’imitation et de dimension. Les premières techniques artistiques ayant pris en compte la représentation de la troisième dimension ont abouti à un rendu plus réaliste. En présentant la profondeur sur une simple surface, elles sont au fondement de ce que l’on nomme l’illusion perspective. Mais nous nous trouvons alors face à une nouvelle question : qu’est-ce qui suscite l’illusion ? Est-ce la troisième dimension, élément de la réalité, qui est figurée sur le tableau, ou bien est-ce parce que la représentation se rapproche de l’image visuelle, c'est-à-dire de l’image de la réalité qui serait perçue par l’observateur dans la situation réelle ?

L’illusion peut ainsi être comprise comme faisant référence à l’acte de perception plutôt qu’à son objet. Elle se situerait donc davantage du côté de l’acte de la perception visuelle plutôt que de la réalité. Comme le signale Marin (1994), l’enjeu de la perspective, n’est pas de donner l’illusion d’être présent dans un lieu en trois dimensions, mais de fondre son regard dans la vision d’autrui, c’est-à-dire dans le regard de celui qui se trouverait effectivement, réellement, dans le lieu représenté. L’illusion perspective peut alors être considérée comme un élément participant à duper l’observateur, en permettant de percevoir comme s’il était dans la position dans laquelle il lui est demandé de s’imaginer.

L'émergence du "virtuel" dans la culture visuelle mêle deux évolutions simultanées, coordonnées et éventuellement divergentes : la reproduction du monde réel et/ou la création d’un autre monde, pouvant être même fantasmagorique. Le mouvement d'imitation exacte de la réalité, initié par le dessin perspectiviste et radicalisé par la photographie, trouve dans la numérisation un outil que l’on peut qualifier d’avantageux.

La sensation provoquée par le stimulus est une base de construction pour la réponse du système cognitif, selon les résultats de l’intégration de l’information. Le percept diffère en fonction des connaissances de l’individu mais aussi de ce qu’il en attend. "Percevoir" implique donc l'interrogation du champ de perception (le champ visuel dans le cas de la vision), mais engage également l'appréhension, l'incorporation des différentes informations perçues aux informations stockées en mémoire, ainsi que leur compréhension dans le cadre mental.

Pour O’Regan (1992) : «ce que nous avons l'impression subjective de "voir" est issu avec précision des aspects de la teneur de l’environnement que nous choisissons de transformer, ou d'intégrer, en notre cadre mental, en vertu des opérations cognitives appropriées». Dans cette optique, l’environnement extérieur est défini comme une mémoire externe que l’être humain peut explorer au même titre que sa mémoire interne.

Parallèlement aux dimensions strictement fonctionnelles, toute une symbolique spécifique s'élabore pour amplifier la portée cognitive des systèmes virtuels conçus, de la même façon que la perspective a aidé à percevoir différemment les images les plus simples. Comme l'explique Duplat en 1994, directeur de Virtools, il faut "...inventer des métaphores intuitives qui permettent une utilisation pragmatique de la réalité virtuelle. Car c'est la simplicité d'utilisation, plus que le recours systématique à l'immersion, qui garantira le développement de ces nouvelles interfaces et donc des applications professionnelles de cette technologie" (cité par Barnu, 1994). En effet, les environnements virtuels sont certes de plus en plus réalistes, mais sont aussi chaque jour appréhendés un peu plus facilement. Étant donné que la technologie est de plus en plus légitime, voire banalisée, et présente dans notre quotidien (que ce soit sous forme de jeux, d’environnements de travail ou par leur intrusion dans toutes sortes de médias - télévision ou cinéma), les différents types de simulations ne sont plus si étonnants qu’auparavant. Ils occupent une place qui s’étend constamment. Mais ce n’est pas la simple pseudo sur-exposition du public aux différentes types de simulations qui rend leur perception plus simple et moins surprenante, les efforts fournis pour faciliter leur utilisation jouent effectivement un rôle prépondérant.

La perception, qu’elle soit du réel ou du virtuel, désigne « l’ensemble des mécanismes et des processus par lesquels l’organisme prend connaissance du monde et de son environnement sur la base des informations élaborées par ses sens. » (Bonnet, Guiglione et Richard, 1989.) Dans le cas du Laboratoire de Simulation et d’Evaluation de l’Environnement, le sujet immergé dans le laboratoire doit se projeter et se sentir présent dans le lieu représenté par la simulation pleine échelle d’un environnement audiovisuel mi virtuel (le film avec la bande son) et mi réel (le salon). Il lui faut donc se mettre dans une situation donnée (celle de riverain habitant du lieu) à partir de ce qu’il perçoit et des représentations qu’il a de la situation évoquée.

Dans une conception cognitiviste, la perception est considérée comme une fonction d’interprétation des données sensorielles et implique l’intervention de processus de traitement de l’information essentiellement bottom-up (Houdé, Kayser, Koenig & Rastier 1998). Et selon la théorie défendue par O’Regan, l’environnement extérieur est défini comme une mémoire externe que l’être humain peut explorer au même titre que sa mémoire interne. En effet, un événement, comme un objet, est stocké en mémoire selon les différentes modalités sensorielles, mais aussi selon ce que l’individu a pensé, imaginé et ressenti sur un plan émotionnel au moment de l’intégration de l’information, comme de la récupération. Ainsi la perception tout comme la réactivation d’un souvenir est plurimodale. De plus, et c’est ce qui nous intéresse, il est possible d’explorer un souvenir, comme on explore une image, comme on analyse une odeur, ou comme on discerne un discours au milieu d’un bruit de fond. Il est alors concevable d’établir un parallèle entre le monde extérieur et les différents aspects de la mémoire, comme entre représentation du monde, simulation de l’environnement et souvenir ou image mentale.