3.3. Perception des séquences audiovisuelles : du réel au virtuel

Une photographie est une marque, une trace de la réalité. Elle existe effectivement, en tant qu’objet, mais est en fait une représentation possible d’un autre objet tangible dans l’environnement réel. C’est une copie, même si l’on peut la considérer comme un état propre de l’environnement qui y a été imprimé. Dès 1980, Shuttleworth, puis Stamps en 1990, démontraient la légitimité de l’utilisation de photographies comme support d’étude de l’appréciation des paysages, et pouvant permettre la prévision d’effets in situ.

Un film vidéo, est une reproduction plus proche du monde réel puisqu’il intègre le mouvement, mais reste toutefois une reproduction de la réalité (Fava-Natali, 1994). L’imitation est plus vraisemblable que pour une photographie, mais il s’agit toujours d’une représentation virtuelle. Il est cependant possible, d’argumenter que les films cinématographiques sont constitués de quelques unes des nombreuses vues possibles d'un événement, d’un petit sous-ensemble d'échantillons de temps, provenant d'une réalité continue, pour donner une illusion d'unité bien qu’il n’y en ait que des fragments. Car la réalité est spatialement et temporellement continue, tandis que le film ne l’est pas (Cutting, 2004). Cela constitue une des différences spécifiques entre perception de films et perception du monde réel (Arnheim, cité par Levin & Simons, 2000).

Cependant, si les films produisent une illusion de réalité, c’est parce qu’ils induisent la superposition des attentes perceptuelles fondamentales liées à ce qui est vu, et ce qui est réellement perçu ; cela par processus d’inférence. Les mécanismes utilisés et impliqués, comme les inférences et activations de connaissances, sont les mêmes que pour la "vraie" perception du monde (Johnson, Foley, Suengas & Raye, 1988, et Levin & Simons, 2000). De plus, si la réalité est continue, nous la percevons depuis notre point de vue, notre position dans l’espace, et à travers nos systèmes sensoriels qui, par les limites de leurs champs réceptifs, restreignent l’existence de l’environnement. Pour Cutting (2004), même si la vie et le monde réel ne sont pas communément décrits comme une suite de scènes, ce pourrait être une façon correcte de l’envisager. En effet, dans notre quotidien, le point de vue sur l’environnement peut ne pas changer pendant un certain laps de temps (situation où l’on est dans un bureau, une salle de restaurant, sur un banc dans un parc, etc…). Ceci pourrait être apparenté à une scène de film. De même lorsque nous changeons brusquement de milieu, comme en entrant dans un immeuble ou en changeant simplement de pièce, il est possible de décrire une similitude avec une coupure et un changement de scènes dans un film. Par ailleurs la mémoire épisodique permet aussi la réminiscence de scène de vie, en général dans un contexte ou un lieu particulier.

Autant d’éléments qui nous permettent d’envisager le parallèle entre perception d’une scène dans la vie et dans un film, ou une séquence de réalité virtuelle. Les Environnements Virtuels un intérêt considérable pour les équipes de chercheurs travaillant sur la perception et l’évaluation de l’environnement ou des impacts environnementaux que peuvent avoir les infrastructures de transports, les plans d’urbanisation, de déplacements urbains, ou encore de toutes modifications prévues du cadre environnemental (Orland, B., Budthimedhee, K., & Uusitalo, J., 2001).

Ainsi, dans le cas de ce travail, basé sur la mise en situation des participants en condition de riverains d’une infrastructure de transport par la projection de films paysagers, nous avons considéré que la perception d’une séquence visuelle peut être comparée à la perception d’une même scène dans la réalité.

En effet, la vue depuis une fenêtre sur l’extérieur ne varie pas fondamentalement dans un décours temporel bref, ceci même si certains éléments peuvent être en mouvement (animal, vent dans les arbres, trafic routier ou ferroviaire, nuages). De plus, l’écran sur lequel sont projetées les séquences (film, RA ou RV) est placé dans la fenêtre : on peut donc penser que, en un emplacement donné dans la pièce, le point de vue sur l’extérieur est de toute façon limité par l’encadrement de la fenêtre.

Compte tenu des arguments des auteurs cités précédemment et du dispositif installé dans notre laboratoire, le sentiment perceptif devrait s’approcher autant que possible de celui de la réalité.

En 2000, Rohrmann, Palmer et Bishop ont prouvé que la simulation virtuelle offrait un support valide et acceptable pour toute tâche perceptive, sous réserve d’une qualité élevée et adaptée de la simulation. Par essence, le film est un élément virtuel, puisqu’il n’est pas l’environnement réel. Néanmoins, issus d’un enregistrement de la réalité, les films paysagers en constituent une simulation de très haute qualité. Nous avons donc fait le postulat qu’ils formaient des stimuli adéquats et valides pour la base de nos travaux et avons choisi de les comparer à d’autres types de simulation visuelle : la Réalité Augmentée et la Réalité virtuelle.

Toutefois, il est aussi important de prendre en compte la dimension sonore du milieu. Cela afin d’appréhender la perception de l’environnement davantage dans sa globalité, mais aussi parce que l’impression de réalisme induit par le dispositif de simulation dépend des deux modalités. Ainsi, selon Hendrix (citée par Shubber, 1998), le sentiment d’immersion dans un environnement est meilleur lorsque les films sont présentés avec les bruits ambiants qui leur sont associés que lorsqu’il n’y a pas de son.

Le son est défini comme une sensation auditive due à une vibration acoustique. Tous les sons simples peuvent être décrits par trois paramètres caractéristiques de l’onde sonore qui sont : la fréquence, l’amplitude et la constitution harmonique. Le bruit est composé d’ondes acoustiques de fréquences différentes, et est donc trop complexe pour être décrit selon ces critères. Les études sur la perception, discrimination et localisation des sons ne peuvent donc nous être utiles ici, car elles portent sur des "sons purs" (MacAdams & Bigand, 1994).

En ce qui concerne la restitution de l’ambiance sonore, nous considérons que toutes méthodes d’enregistrement et de restitution, qui permettent de préserver et de rediffuser les sons complexes selon les trois caractéristiques de l’onde acoustique, dans une mesure supérieure à la capacité sensorielle de l’oreille humaine, fournissent des stimuli auditifs valides pour toute étude de perception auditive. Dans le cas où les caractéristiques acoustiques de la pièce dans laquelle la diffusion sonore est effectuée sont prises en compte, ce fait est communément admis. Vogel (1999), en se basant sur les principes de la psychologie écologique de Gibson (1979), précise l’approche méthodologique à observer. Il définit ainsi que « la tâche de l’expérimentateur ne consiste pas à restituer les stimuli sonores de la façon la plus réaliste possible, mais à donner les informations nécessaires pour permettre au sujet de réactiver les mêmes représentations en mémoire, que celles qu’ils ont établies lors d’une perception directe, en situation. ».