5.1. Synthèse de l’investigation théorique et problématique

Les recherches en psychologie cognitive étudient généralement le comportement de sujets face à la réalisation d’une tâche précise, que celle-ci relève du domaine de la perception, du raisonnement, du langage, de l’apprentissage ou de la mémoire. Or, la problématique générale est ici de définir les apports et les limites de l’utilisation des Environnements Virtuels dans les études d’impacts environnementaux des transports, et donc de déterminer quelles sont les simulations les mieux adaptées pour ces recherches et induire la meilleure mise en situation possible.

Ce sujet de thèse nécessitait donc de prendre en compte les aspects fondamentaux et une étude théorique de concepts issus de disciplines diverses. Durant notre travail de recherche bibliographique et de réflexion théorique nous avons de ce fait tenté de faire le lien entre notre discipline principale, la psychologie cognitive, et les différentes disciplines scientifiques relatives à l’étude de la réalité virtuelle, de la perception de l’environnement, de la psychologie de l’environnement et des impacts environnementaux des transports. Il était nécessaire d’approfondir ces connaissances fondamentales afin de mieux comprendre les processus impliqués dans les mécanismes de perception des environnements virtuels, et ainsi, de mieux appréhender les différentes implications de leur utilisation pour l’étude de la perception de l'environnement et des impacts environnementaux des transports.

Dans le cadre de la validation du Laboratoire de Simulation et d’Evaluation de l’Environnement (le LSEE) de l’INRETS de Bron, dont l’objectif est de permettre à un sujet lambda d’être mis en situation de riverain d’une infrastructure de transport, il fallait mettre en place une étude pour définir les possibilités de valider l’utilisation des environnements virtuels pour les études de perception des impacts environnementaux des transports. Pour cela, un protocole visant à la comparaison de différents niveaux de simulation mais aussi permettant de comparer ces différentes simulations avec la réalité a été conçu. C’est en cette particularité que ce protocole expérimental tient son originalité mais c’est aussi en grande partie ce qui a rendu sa mise en place difficile. Les études préalables et la revue bibliographique menées ont soulevé plusieurs questions telles que : « quels sont les mécanismes cognitifs impliqués dans la perception d’un environnement plurimodal et dans la perception de la réalité virtuelle ? ». Notre opinion est que le concept clé au centre des questions de ce travail est le sentiment de Présence. Assurément, selon nous, c’est à la seule condition que l’utilisateur - observateur de la simulation croit « y être », que l’expérimentateur peut observer en laboratoire un comportement et des réactions semblables à ceux qu’il aurait pu observer dans la réalité.

La littérature sur les Environnements virtuels, la Présence et l’Immersion est dense. Cependant, les champs d’investigation sont nombreux, très divers et les consensus n’existent pas réellement : chaque domaine considère un élément différent comme étant central, et repense ses propres définitions. Parfois même au sein d’une même discipline, selon les auteurs, on ne retrouve pas les mêmes significations, positionnements et conclusions.

Ce travail nous a amenée à conclure que la Présence était l’élément sur lequel les efforts devaient être focalisés pour assurer une véritable mise en situation, et recréer un contexte qui engendre des comportements et des réactions comparables, superposables même, à ceux qui seraient constatés dans la réalité.

Avant tout, il est nécessaire d’admettre que nous avons totalement approuvé et assimilé l’idée selon laquelle la Présence est réellement dépendante de la cognition du sujet. L’effort fourni par celui-ci pour se projeter dans l’environnement virtuel, alors qu’il est conscient de ne pas y être réellement, est fondamental. Le contexte simulé dans lequel il est plongé ainsi que sa bonne volonté à accepter de se laisser "leurrer" par l’environnement virtuel jouent un rôle essentiel, de même que son aptitude à se mettre à une place différente de celle où il se trouve véritablement. La notion de fidélité psychologique et l’obligation pour l’environnement virtuel de tromper le système cognitif pour engendrer un sentiment de Présence, renvoient aussi au fait que la simulation doit permettre d’induire des processus automatiques non conscients, qui seraient normalement mis en jeu dans un environnement réel équivalent. Ces processus doivent être engendrés malgré la conscience du sujet de se trouver dans une simulation. Ainsi, nous pensons que l’émergence du sentiment de Présence est issue de différents mécanismes cognitifs. Il n’y a pas un seul processus mis en jeu, mais bien une architecture, un réseau de différents mécanismes connexes et mêlés : la perception, l’imagerie mentale, la mémoire et l’attention.

Le cas particulier du laboratoire de simulation dont il est ici question est un simulateur pleine échelle visant à permettre la mise en situation de tout sujet. Ce simulateur est mixte puisqu’il est en partie réel (la pièce, le salon dans lequel le sujet doit s’imaginer existe), mais la vue et l’ambiance sonore qui y sont projetés et perçus sont des simulations. Cependant, que le simulateur soit pleine échelle ou non, qu’il soit mixte ou totalement virtuel (avec le port de casque et de gants par exemple), immersif ou semi immersif, les mécanismes cognitifs impliqués doivent être les mêmes. L’approche cognitive du comportement humain souligne la nécessité de prendre en considération le contexte, c’est-à-dire à la fois le problème ou la situation à traiter, ainsi que l’environnement dans lequel il s’insère. Le simulateur et l’environnement virtuel créé composent un contexte particulier qui vise à reproduire un contexte défini (existant dans la réalité ou non). Lorsque l’on considère les aspects sensoriels fournis par la Réalité Virtuelle, parfois peu précis et d’une qualité modeste, il s’avère que l'expérience d’être dans le lieu simulé n'est pas uniquement régie par l'entrée sensorielle ascendante : les connaissances top-down appropriées interagissent avec les signaux d'entrée, pour construire une représentation mentale de l’espace, logique et complète. Un des mécanismes qui, selon nous, intervient dans la construction de cette représentation est l’imagerie mentale. Celle-ci joue un rôle de médiateur entre la perception du stimulus et la réponse comportementale induite. C’est par ce processus que l’environnement suggéré, par le film ou la séquence projeté(e), doit être perçu tel qu’assimilé au réel, dans le scénario et la représentation que se construit le participant. Perception et imagerie mentale enclenchent les autres mécanismes. Cependant il ne s’agit pas d’une activation sérielle ; tout ce processus est simultané et les différents mécanismes s’engagent parallèlement. Le sujet recrée un monde mixte incluant réalité et virtuel : pour cela, il établit une simulation mentale sur la base de ses représentations, de ses connaissances, de son imagination et de l’environnement virtuel. Ainsi, en utilisant simultanément des mécanismes attentionnels pour faire abstraction de sa conscience d’être dans un lieu imité et se focaliser sur la simulation, mais aussi des mécanismes mnésiques et perceptifs pour construire la représentation, l’individu concrétise à la fois le monde virtuel et son sentiment de Présence.