2.1.1. Validation des paradigmes et des objectifs

Tout d'abord le paradigme imaginé, fondé sur la tâche de catégorisation, est validé. Nous avions fait l’hypothèse que l’environnement perçu et le milieu dans lequel se trouve un sujet impliquent l’activation des différentes représentations relatives au contexte suggéré. Pour le vérifier, les performances à la tâche de catégorisation (artefact vs naturel) devaient être meilleures pour les images ayant un lien avec l’environnement et le paysage perçu (réel ou représenté par un film). Cet effet devait aussi être observé pour les images ayant un lien avec la situation dans laquelle le sujet se trouvait, ou devait s'imaginer.

Concrètement, cet effet du lien a été obtenu dans les pré-tests réalisés, mais aussi dans tous les groupes testés, ceci quelle que soit la séquence projetée, mais aussi quel que soit le lieu d'expérimentation. En effet, il est très intéressant de remarquer que l'enquête et les tests menés auprès du groupe de riverains à leur domicile ont aussi permis de mettre en évidence un effet du contexte réel sur la tâche de catégorisation d'images, alors qu'aucun film n'était projeté. Ceci valide la première partie de notre hypothèse principale, et plus particulièrement l'hypothèse spécifique aux effets des contextes environnementaux en milieu réel (H1) qui était : si la classification d’images associées à un film projeté en arrière plan donne lieu à une meilleure exécution et de meilleures performances que pour des images non reliées au film (comme démontré lors des pré-test), alors on observera les mêmes types de résultats dans la réalité avec des personnes vivant sur l'emplacement du site de tournage du même film. La différence de conditions expérimentales "relié" vs "non relié" porte alors sur la relation entre les images, le contexte environnant et le paysage réel visible depuis l'habitation (et non plus sur un film ou un autre).

Ainsi les performances à la tâche de classification en catégorie d’images (artefact vs naturel) associées au paysage et au contexte environnant sont meilleures que les performances pour catégoriser des images non reliées.

De plus, l'enquête réalisée par questionnaire à domicile a permis le recueil de données qualitatives importantes aidant à évaluer la perception qu'un riverain a de son environnement de vie, du point de vue paysager et sonore. Comme nous l'avons vu, les habitants interrogés ont une opinion très positive de leur environnement. La vue est décrite comme belle, le paysage agréable, et les impacts environnementaux des transports sont évoqués comme peu gênants que ce soit pour l'intrusion visuelle de l'autoroute dans le paysage ou le bruit dû à l'infrastructure. L'environnement est globalement considéré comme satisfaisant.

Une des difficultés de ce travail de doctorat était de trouver des critères d'évaluation objectifs du sentiment de Présence. La confirmation de nos différentes hypothèses, ainsi que la concordance des données explicites issues des questionnaires (classiquement utilisés pour évaluer la Présence dans un Environnement Virtuel) avec les données implicites, nous laissent penser que ces paradigmes sont parfaitement appropriés pour ce type de recherche.

Résultats observés au LSEE

Les données issues des expérimentations réalisées auprès des riverains venus au laboratoire de simulation et d'évaluation de l'environnement sont aussi, pour la plupart, en faveur de la confirmation de nos hypothèses. Certes, toutes les analyses ne nous autorisent pas à conclure que les différents facteurs ont systématiquement les effets escomptés. Cependant, on constate que globalement le contexte représenté par les différentes séquences et créé par le laboratoire facilite la tâche de catégorisation. Cela se traduit soit par des latences plus courtes, soit par des taux de bonnes réponses plus élevés pour les éléments reliés, parfois même les deux. De plus, on note que globalement et pour deux des trois séquences, les patterns de résultats sont superposables à ceux obtenus in situ. Cela confirme de l'hypothèse sur les effets du lien entre le contexte et la tâche à réaliser.

L'une de nos hypothèses était que l’une des séquences de simulation induirait un plus fort sentiment de présence dans l’Environnement Virtuel que les autres, et permettrait ainsi de reproduire des performances plus superposables et comparables à celles observées dans la réalité. Nous avons ainsi constaté, dans la tâche de catégorisation, que deux séquences semblent plus adaptées pour reproduire les effets de contexte mis en évidence au domicile des participants : la séquence vidéo et la séquence de Réalité Virtuelle.

Parallèlement, si l'on se réfère à toutes les données recueillies (celles issues de la tâche attentionnelle de détection de bip et de la tâche de catégorisation, ainsi que les réponses rapportées dans les questionnaires), nous constatons que la séquence pour laquelle les participants sont les plus efficaces et les plus rapides, est aussi la séquence qui est la plus appréciée, et pour laquelle le sentiment de Présence est décrit comme le plus fort. Il s'agit alors de la séquence vidéo.

Les comparaisons qui ont été menées sur ce groupe de riverains entre les deux lieux d'expérimentation (à leur domicile puis au LSEE) fournissent des éléments allant toujours dans le sens de nos conclusions.

Pour ce qui est de la tâche attentionnelle de détection de bip, la phase d'expérimentation à domicile a permis de relever des performances de référence des participants de ce groupe. Les analyses de comparaisons menées sur la tâche de catégorisations comme sur cette tâche attentionnelle ne montrent pas d'effet du lieu d'expérimentation.

Les résultats obtenus sur les différentes tâches et les analyses réalisées sont aussi en faveur de nos hypothèses et donc de la capacité du LSEE à recréer un contexte comparable à l'environnement réel, qui y est simulé.

Concernant le groupe contrôle, constitué de personnes ne résidant pas dans le village test de Druillat, les résultats sont encore plus constants. Les effets du lien entre les images et le contexte créé par le laboratoire sur la tâche de catégorisation sont de nouveau confirmés, de même que la prédominance d'une des séquences pour induire le sentiment de Présence : cette fois, la séquence de Réalité augmentée.

Tout ceci concorde pour nous permettre d'argumenter en faveur de la validation de deux de nos objectifs:

- Tout d'abord, ces résultats vont dans le sens de la confirmation de nos hypothèses, non seulement en ce qui concerne les effets de contexte (H1,comme nous l'avons vu juste avant), mais aussi pour ce qui est des processus attentionnels. Il apparaît que les performances à cette tâche de détection de bip sont proportionnelles à l’intensité du sentiment de Présence dans la scène, comme l'affirmait une de nos hypothèses ( intitulée H2 en chapitre 5).

Pour le groupe de riverains, la séquence vidéo est celle qui induit le plus fort sentiment de présence décrit, de même que le plus grand sentiment d'être "comme chez soi". C'est aussi celle qui reçoit les notes esthétiques les plus élevées et pour laquelle le bruit est perçu comme le plus faible (alors que le niveau sonore est toujours le même, quelle que soit la scène visuelle). Cette séquence est également celle pendant laquelle les participants sont les plus rapides à la tâche attentionnelle.

Pour le groupe contrôle, on observe les mêmes types de résultats, mais pour la séquence de Réalité Augmentée.

On confirme ici l'idée qu'une séquence est plus adaptée que les autres pour créer la mise en situation voulue, et induire les effets de contexte escomptés. En d'autres termes, une séquence est plus efficace que les autres pour engendrer les réactions cognitives qui seraient observables dans la réalité, et recréer un contexte permettant l'activation de représentations mentales relatives à l'environnement simulé (la vidéo pour les riverains, la RA pour les non riverains).

Ainsi les critères de mesure implicites mis au point, constitués par les données issues des deux tâches cognitives (catégorisation et détection de bip) semblent efficaces pour mesurer le sentiment de Présence. De plus, ces critères reflètent les mêmes résultats que ceux mis en évidence par les données explicites recueillies grâce aux questionnaires. Les deux méthodes d'évaluation se renforcent conjointement.

- Ensuite, tous ces éléments autorisent à se prononcer sur l'efficacité du laboratoire. Ils donnent toute l'argumentation nécessaire pour attester que le LSEE offre la possibilité de recréer un environnement et un contexte pouvant induire les mêmes comportements et réactions qu'en milieu réel.

Une partie du groupe contrôle était appariée au groupe de participants résidant au village de Druillat. Les analyses de comparaison entre ces deux groupes ont révélé une plus grande rapidité du groupe contrôle constitué de non riverains. Mais cette différence ne contredit pas nos hypothèses de travail ou notre réflexion : les simulations au laboratoire permettent aux deux groupes de sujets de se sentir présents dans l'environnement recréé et d’activer les mêmes types de représentations mentales associés à l’environnement simulé. Une différence apparaît tout de même entre les deux groupes :

Elle porte sur la séquence qui est la plus adaptée pour induire les effets de contexte, et aussi provoquer la mise en situation, les sentiments de Présence et d'immersion escomptés et prévus. Pour les riverains, il s'agit de la séquence vidéo, alors que pour le groupe contrôle, c'est la séquence de Réalité Augmentée qui est la plus déterminante pour révéler les effets attendus. En fait, il semble même que la séquence la plus efficace pour un groupe, aurait tendance à être la moins adaptée et la moins appréciée par l'autre groupe. Mais ce qui est très intéressant, c'est que la séquence de réalité augmentée soit la plus appropriée pour induire les effets recherchés chez le groupe contrôle de non riverains. Elle permet d'induire un contexte favorisant presque systématiquement la catégorisation sur le plan de la rapidité de la réalisation de la tâche comme sur les taux de bonnes réponses, pour les éléments artéfactuels comme pour les éléments naturels. De plus cette séquence est la plus appréciée au regard des données qualitatives, c'est aussi celle qui induit le plus fort sentiment de présence, et lors de laquelle la tâche attentionnelle est la mieux réalisée : les temps de réponses sont globalement plus courts et les participants s'améliorent significativement. Les observations et résultats obtenus à l'issue de la projection de la séquence de Réalité Augmentée sont tous en faveur de la confirmation des hypothèses formulées. Ici aussi, les critères de mesure implicites et explicites convergent et renforcent nos conclusions : le LSEE permet de rendre compte assez fidèlement d’une réalité donnée pour engendrer une mise en situation de riverains d'une infrastructure de transports, et induire le sentiment de Présence dans le site recréer. Ceci est encore plus réaliste pour une des séquences de simulation.

Ce point est extrêmement intéressant pour les travaux futurs. En effet, l'un des plus grands intérêts de la Réalité Virtuelle pour les études de perception de l'environnement ou de perception des impacts environnementaux des transports est de rendre possible et visible, ce qui n'existe pas (ou pas encore) dans la réalité. Il est donc primordial pour ce champ d'application de constater que la Réalité Augmentée (ou éventuellement la Réalité Virtuelle) permet d'induire le sentiment de Présence, et de créer un contexte qui provoque des réactions de la part des sujets comme s'ils se trouvaient dans un site réel.