Introduction

Explicitation de la démarche

L’organisation de la famille a considérablement évolué en 30 ans. L’explosion des divorces à partir des années 1970, le développement de la « cohabitation juvénile » [Roussel, 1975] puis de l’union libre, ont bouleversé les valeurs et les représentations sociales de cette institution. Dans ce contexte, le divorce en particulier a été pointé du doigt comme facteur de vulnérabilité pour les enfants issus de ce type de configuration familiale. C’est à partir du divorce que l’on a tenté d’expliquer l’échec scolaire, la délinquance et ce qui apparaissait comme la déliquescence des valeurs familiales. Ce travail vient interroger les jeunes adultes d’aujourd’hui, première génération issue de ces bouleversements sociaux. Il ne s’agit pas de savoir si les inquiétudes étaient fondées ou non, car ce n’est pas sur une dimension morale que nos questionnements se sont appuyés. Il s’agit plutôt de prendre la mesure de la socialisation de cette population aux caractéristiques familiales particulières et d’essayer d’établir ses spécificités en comparaison aux autres jeunes adultes dont les parents sont restés unis. Quelles sont les incidences de la séparation des parents sur la socialisation des enfants qui sont issus de cette configuration familiale ? Il s’agit ici d’en prendre la mesure à travers les pratiques et représentations comparées de mobilisations des ressources parentales, matérielles et affectives.

Ce travail n’est pas en soi une thèse sur le divorce, mais plutôt une façon d’approcher la question de la fonction parentale du point de vue des enfants, à travers la situation particulière de la séparation des parents. Il s’agit d’aborder la question des liens entre ascendants et descendants en allant interroger ceux pour qui cette relation a été mise en question par cette rupture familiale. L’étude des populations à la marge, des exclus de la norme familiale est en soi un moyen d’approcher, de définir ce que recouvre cette dimension socialement partagée. Elle permet d’étudier la place des parents et l’importance du genre les concernant, mettant en perspective le rôle du père par rapport à celui de la mère.

Les analyses portent sur une population de jeunes adultes âgés entre 18 et 30 ans de l’agglomération lyonnaise. Outre l’aspect générationnel déjà évoqué, cette période de la vie a été retenue en ce qu’elle permet de saisir les flux d’échange entre les générations tout en gardant encore vivace le rapport établi en tant qu’enfant avec chacun de ses parents dans le processus d’autonomisation engagé.

Le choix d’un recueil de données quantitatives s’est imposé dans la mesure où il permet de mettre au jour des régularités là où il s’agit toujours d’histoires individuelles pour les personnes, pour lesquelles les facteurs sont multiples et toujours uniques de leurs points de vue. Des entretiens viennent éclairer les représentations permettant de comprendre le sens que les jeunes adultes interrogés donnent à leurs pratiques. Nous y apprécions les représentations de la norme familiale qui s’imposent et l’importance que cette norme exerce sur les façons de faire et d’arbitrer les choix.

Ce travail s’intéresse principalement au point de vue des descendants. Il s’agit donc d’aborder la question de la famille à partir de cet angle d’approche. Si les résultats sont ainsi circonscrits, ils sont en même temps plus complets car confrontés à partir de sources et de modes d’interrogations complémentaires.

Nous nous devons de préciser qu’il s’agit plus volontiers d’une thèse sur les invariants de la famille que sur les incidences de la séparation. En fait de rupture de lien d’alliance, ce sont surtout les liens familiaux intergénérationnels qui sont évoqués. Il ne s’agit pas de savoir si les jeunes adultes interrogés s’installent plus souvent en couple, s’ils reproduisent un potentiel schéma familial, mais plutôt de voir comment s’élaborent les relations entre chacun des parents et leurs enfants et d’approcher ce que vient modifier la séparation des parents, à la fois d’un point de vue pratique et d’un point de vue symbolique.Ce travail comporte quatre parties, fractionnées en chapitres numérotés de 1 à 13 sur l’ensemble du document.

La première partie s’attache à poser les jalons du questionnement. Comment définir la norme familiale et comment peut-on aborder la question de la filiation ? Comment le divorce, événement venant sanctionner des relations familiales historiquement construites, vient-il questionner de façon spécifique les relations entre ascendants et descendants ? Nous détaillons les dimensions symboliques mobilisées à l’occasion de cet événement familial, sans pour autant négliger ce qui relève de la construction d’un contexte matériel de vie spécifique faisant suite à la séparation des parents. Les constats élaborés servent ensuite de trame d’interrogation aux différents pans de l’analyse menée au cours des trois autres parties.

La deuxième partie aborde les modes d’autonomisation financière de la famille d’origine de ces jeunes adultes, en comparant ceux ayant expérimenté une rupture d’union de leurs parents et les autres. Sont plus particulièrement observées les aides financières parentales, dans leur forme et dans leur niveau. Elles sont mises en perspective avec les ressources personnelles des jeunes adultes, actives ou passives. La position sociale des parents est prise en considération. Les aspects domestiques, développés dans le chapitre 5, apportent un éclairage complémentaire à ce processus d’autonomisation et aux répartitions genrées des pratiques entre les parents.

La troisième partie s’intéresse à la territorialisation des jeunes adultes issus de parents séparés. Quelles sont les pratiques résidentielles associées à l’expérimentation d’une bi-localisation des domiciles parentaux ? Les formes prises par la décohabitation sont tout particulièrement abordées, l’éclairage étant mis sur l’explicitation des circonstances du départ du domicile parental. Comme dans la deuxième partie, ce sont les modes d’autonomisation et d’acquisition de l’indépendance qui sont interrogés.

La quatrième partie, qui comporte cinq chapitres, aborde les relations intergénérationnelles à partir de l’usage qui est fait du téléphone entre le jeune adulte et chacun de ses parents. Après un chapitre consacré aux pratiques téléphoniques des jeunes adultes en général, une comparaison entre les jeunes adultes issus de parents séparés et les autres est menée, abordant différentes dimensions de la relation parents-enfants.

Une bibliographie référencée apparait en fin de chaque partie. L’ensemble des ouvrages mobilisés pour ce travail est présenté dans une bibliographie générale.