Vers la distinction entre « résidence » et « autorité parentale »

La norme reste donc, lorsqu’il y a séparation, la hiérarchisation de fait entre les deux logements parentaux. Cette distribution n’est pas sans lien avec la place occupée par chacun des parents dans la vie de l’enfant, tant sur le plan symbolique que matériel. Jusqu’en 1987, c’est l’un des deux parents qui, suite au divorce, a « la garde » de l’enfant. Cette responsabilité recouvre la dimension de l’exercice de l’autorité parentale et celle de la résidence principale.

La loi Malhuret, le 22 juillet 1987, institue l’exercice commun de l’autorité parentale dans les familles « légitimes » et le facilite dans les familles dites « naturelles ». Cette loi vient tenter de remédier à ce que les observateurs constatent : les enfants, qui pour la plupart résident principalement chez leur mère, ne voient plus leur père dans un tiers des cas [Villeneuve-Gokalp, 1999 ; sur une enquête INED de 1994]. Cette proportion est restée stable entre 1986 et 1994, selon un protocole d’enquête similaire. Dans l’idée d’amener les pères à maintenir leur rôle de parent, l’autorité parentale n’est plus déléguée à une seule personne – qui était généralement la mère, laquelle était également celle bénéficiant de la résidence principale pour l’enfant – mais aux deux parents. Ces derniers sont ainsi supposés, au-delà du divorce et de la rupture du couple conjugal, rester un couple parental.

Dans un même temps, la loi de 1987, en introduisant la notion de résidence habituelle de l’enfant de façon obligatoire, répond à l’arrêt du 2 mai 1984 de la Cour de cassation qui prohibe la « garde alternée », pourtant reconnue en 1975 par la loi autorisant le divorce par consentement mutuel. Il y a donc, d’une part, une volonté de re-concerner les pères, en leur montrant qu’ils jouent aux yeux de la loi le même rôle que la mère quant à l’autorité parentale. Mais simultanément, la notion de résidence principale vient figer la possibilité de partager à part égale la gestion du quotidien, pourtant si importante dans l’élaboration d’un lien avec les enfants, surtout les plus jeunes. Il faut attendre le 4 mars 2002 et la loi n°2002-305 pour qu’il soit possible à la fois de bénéficier d’une garde alternée et d’une autorité parentale conjointe.

Dans les faits, la réalité des enfants de parents divorcés n’a pas été bouleversée du jour au lendemain par l’évolution de ces lois sur le divorce. La garde alternée, même si elle n’était pas possible juridiquement, s’est pratiquée, et nombreux sont les parents qui ont pris des décisions en concertation avant le partage de l’autorité parentale. Mais l’importance de ces modifications réside plutôt dans leur portée symbolique. On voit que la mesure a été prise de la dimension arbitraire de la promulgation d’un seul des deux parents au statut de responsable de l’enfant. On a supposé que les effets de la séparation comme la perte du lien entre père et enfant étaient liés à cette organisation juridique de l’après-rupture. La perception du rôle joué par la mère à l’égard des enfants par rapport à celui joué par le père a également évolué. La mère semble être passée du statut d’incontournable, d’absolument nécessaire à ses enfants – le père étant une sorte de bonus – à celui de pôle, impliquant un autre référent : le père. Ce sont ces deux logiques qui expliquent la situation actuelle qui vise à maintenir juridiquement, et donc symbolique, le couple parental.

Dans les faits, les 18-30 ans interrogés dans le cadre de ce travail ne sont pas concernés par la dernière modification apportée par la loi de 2002. Par contre, un tiers d’entre eux ont vu leurs parents se séparer avant 1987, et ont donc été à la garde exclusive de l’un de leurs parents. Les deux autres tiers ont été sous l’autorité conjointe de leurs deux parents, même divorcés.

Quelle a été l’incidence de cette loi sur les relations entre père et enfant ? Ont-ils moins perdu le lien du fait de cette mesure symbolique d’autorité partagé ?

Tableau 1. Fréquences des communications téléphoniques entre les jeunes adultes et leur père selon que le divorce a eu lieu avant ou après 1987 (% colonne)
  avant 1987 en 1987 et après Ensemble des divorces
Au moins une fois par semaine 12 35 27
une fois tous les 15 jours et moins 49 37 41
pas de conversation téléphonique 39 28 32
Total 100 100 100

Sous-population des jeunes adultes dont les parents sont divorcés, à l’exclusion de ceux veufs ou seulement séparés. N = 126. Test khi2 significatif= 7,86, ddl=2, p=0,019.

Le fait est que les liens apparaissent comme plus étroits entre ceux qui ont bénéficié de cette mesure et les autres. Par exemple, les conversations téléphoniques entre les pères et leurs enfants devenus jeunes adultes que nous avons interrogés sont tendanciellement plus fréquentes pour les divorces postérieurs à 1987. Mais il s’agit également des cas où il était probable que les enquêtés fussent également parmi les plus âgés, ce qui introduit une dimension supplémentaire favorisant à priori le maintien du lien. C’est ce que montre le tableau suivant, où la part des enfants ayant gardé le contact avec leur père est d’autant plus élevé que l’enfant au moment de la séparation était âgé.

Tableau 2. Fréquences des communications téléphoniques entre les jeunes adultes et leur père selon l'âge qu'ils avaient au moment de la séparation (% colonne)
  Avant 8 ans 8 ans et plus
Au moins une fois par semaine 15 33
une fois tous les 15 jours et moins 44 41
pas de conversation téléphonique 41 26
Total 100 100

Sous-population des jeunes adultes dont les parents sont divorcés, à l’exclusion de ceux veufs ou seulement séparés. N = 123. Test khi2 assez significatif= 5,69, ddl=2, p=0,056.

Il est donc assez difficile d’imputer à un facteur en particulier (l’âge de la séparation ou les nouvelles mesures législatives) l’évolution du maintien du lien père-enfant, ces deux variables explicatives étant liées pour la population interrogée. De plus, étant donné nos effectifs, il n’est pas possible procéder à une estimation de l’influence de l’une ou de l’autre dimension à partir d’une sous-population neutralisant l’un des deux critères. Nous ne pourrons donc pas trancher dans le cadre de cette enquête statistique sur la portée de la modification de la loi relative à l’autorité exercée par les parents suite à leur divorce.

Il reste comme élément permanent la situation concrète dans laquelle ces jeunes adultes se sont trouvés dans leur enfance. La séparation du couple conjugal a entraîné une bi-localisation des domiciles parentaux, avec pour le plus grand nombre, une forme de hiérarchisation des domiciles : la résidence principale et l’autre.

Cette situation apparemment simple renvoie à des réalités très différentes.

La plupart ont effectivement comme résidence principale le domicile de leur mère, et se rendent régulièrement au domicile de leur père. Mais leur mère peut résider soit seule, et constituer ainsi un foyer monoparental, soit avec un nouveau conjoint. Des frères et sœurs peuvent également habiter avec elle, du même père que Ego, ou d’un père différent (celui qui habite avec la mère ou un autre). La configuration du ménage de la résidence principale peut donc varier, et les conditions d’existences en sont fortement affectées.

Une part importante, nous l’avons vu, n’ont plus de contact avec leur père. Selon les enquêtes, cette proportion oscille entre un tiers et un quart des enfants dont les parents sont séparés. On ne peut alors considérer qu’ils habitent une résidence « principale », puisqu’il n’y a pas de résidence secondaire.

Notes
8.

Chiffres extraits de l’enquête quantitative menée sur les 853 jeunes adultes de 18-30 ans de l’agglomération lyonnaise. Voir la partie « Méthodologie du recueil des données » p 49.