Où la notion de « ménage » semble inadaptée

La statistique publique achoppe sur la complexité de ces situations familiales. Il est difficile de mesurer des espaces de vie qui ne sont occupés qu’à temps partiel. Comment rendre compte de l’espace habitable occupé par un individu alors que celui-ci a plusieurs logements, successivement occupé au cours d’une période donnée ? Comment rendre compte de la configuration familiale alors que plusieurs logements sont concernés, et quel sens cela a-t-il ? Autant de questions qui ne sont généralement traitées que d’une façon : par la comptabilisation des ménages. Catherine Bonvalet, lors d’un exposé sur la question dans le cadre d’un séminaire du Groupe de Recherche sur la Socialisation [2005], montre toute la complexité de cette notion de ménage. Sa variabilité au cours de l’histoire ou d’un pays à l’autre est très importante. Ce sont les enjeux et l’utilisation de cette notion à des fins de politiques publiques qui vont en grande partie déterminer ce que l’on doit inclure ou exclure et ce que l’on doit compter. La définition de ménage utilisée par l’INSEE ou l’INED est aujourd’hui la suivante : ‘ « Chaque individu vivant seul dans une unité d’habitation distincte, ou occupant à titre de locataire une ou plusieurs pièces distinctes faisant partie d’une habitation, ou tout groupe de deux personnes ou plus s’associant pour occuper une unité d’habitation en totalité ou en partie, et pour pourvoir à leurs besoins alimentaires ainsi qu’à leurs besoins vitaux, constituent un ménage » ’. Si cette définition convient pour remplir l’objectif premier de description du parc du logement, elle est insuffisante pour décrire la famille. La séparation conjugale et les formes de résidence associée, avec par exemple les recompositions familiales ou le changement de représentation des fonctionnements de couple où les deux personnes n’habitent pas forcément le même domicile, sont autant d’éléments difficiles à appréhender. Mais par quoi remplacer le concept de ménage ? L’étude de l’ « entourage » est une piste proposée par C. Bonvalet à l’occasion de cette présentation. Elle s’inspire notamment des travaux menés collectivement par les chercheurs regroupés au sein de l’atelier SRAI (« Statuts résidentiels : approche intergénérationnelle)9. Les difficultés sont évidentes pour mettre en œuvre une approche statistique de cette notion, mais à ses dires, pas insurmontables.

Du point de vue des enfants de parents séparés, l’inadéquation entre ménage et groupe familial est poussée à son paroxysme.

Ces différents constats montrent une socialisation résidentielle spécifique des enfants qui ont grandi dans des familles désunies. Quelles peuvent être les conséquences observables sociologiquement de ces expériences ? Ces dernières donnent-elles lieu à des comportements résidentiels particuliers au moment de l’entrée dans la vie adulte ?

Nous faisons l’hypothèse d’un rapport au logement et à la mobilité résidentielle spécifique à ces populations. Ces dimensions seront plus particulièrement développées dans la troisième partie de ce travail, où nous nous attacherons à comprendre comment en quoi réside la particularité du rapport au logement et si cela donne lieu à des pratiques différentes en matière de construction des trajectoires résidentielles. Les formes prises par l’autonomisation résidentielle, à travers la décohabitation et la négociation de l’usage de la chambre de « jeune homme » ou de « jeune fille » seront au centre de notre analyse.

Notes
9.
L’atelier SRAI était composé d’Isabelle Bertaux-Wiame, Catherine Bonvalet, Paul Cuturello, Anne Gotman, Yves Grafmeyer, Dominique Maison, Paul-André Rosental et Laurent Ortalda [Bonvalet, Gotman, Grafmeyer, 1999].