2eme partie Formes de mobilisation des ressources parentales dans l’autonomisation des jeunes adultes

Introduction 

Entre autonomie et mobilisation des ressources

Perçue à priori comme un état qui signifierait la fin de la circulation des ressources dans la famille, l’autonomie des jeunes adultes vis-à-vis de la sphère parentale est beaucoup plus nuancée. Bien que l’on parle d’autonomie ou d’accès à l’indépendance de cette population, il serait plus exact d’utiliser le terme d’entrée dans la vie adulte. Il s’agit d’envisager que le statut d’enfant soit abandonné pour celui d’adulte à partir du moment où l’individu est en mesure de subvenir à ses besoins sans ses parents. L’indépendance financière est alors nécessaire et le moyen le plus répandu est celui d’un revenu, qu’il soit issu du salariat et/ou d’aides sociales. On ne peut présumer que le jeune adulte y parvienne : le soutien d’un conjoint peut également être un moyen de ne plus dépendre de ses parents en ce qui concernent ses besoins de subsistance.

L’idée générale de l’autonomie est pour l’individu de se donner lui-même ses lois [Chaland, 1999]. Parler d’autonomie à propos des jeunes adultes réfère et s’oppose ainsi à l’hétéronomie, état de la volonté dans laquelle se trouvent placés les individus dans l’enfance. Il s’agit de concevoir ces états en relation avec l’exercice de la fonction parentale. Ainsi, parler d’autonomisation pour la population des jeunes adultes signifierait évaluer le processus par lequel ils s’extraient des injonctions parentales directes et surtout des leviers de cette autorité parentale. Vincenzo Cicchelli montre que la question de l’autonomie subjective des jeunes adultes, à savoir le sentiment qu’ils ont d’être autonomes vis-à-vis de leurs parents, ne dépend pas entièrement de leur indépendance financière vis-à-vis de la sphère parentale : alors qu’ils peuvent être encore financés en grande partie par les parents, certains jeunes adultes se perçoivent pourtant comme autonomes. Voilà qui ravive le débat autour de la réduction à des indicateurs d’une position, d’une situation, d’une représentation sociale. Dans le cadre de notre enquête quantitative, et dans la majeure partie de la littérature sociologique sur la question de l’autonomisation et de l’entrée dans la vie adulte des jeunes, c’est à partir d’un certain nombre d’indicateurs (indépendance financière, décohabitation, mise en couple) que l’accession à l’autonomie est évaluée. Approches objectivistes s’il se doit, elles ont pour avantage d’identifier les leviers d’exercice de l’autorité parentale. La présence de liens de dépendance qui concernent les aspects matériels de la vie quotidienne permet en effet aux parents l’exercice d’un contrôle, direct ou indirect [Cicchelli, 2001]. Les parents utiliseraient ainsi ces dimensions comme des dispositifs susceptibles d’atteindre les objectifs éducatifs qu’ils se sont fixés.

La question de l’autonomie doit aussi être mise en perspective au regard des solidarités familiales. Les travaux sur ces dimensions utilisent les indicateurs d’échanges, de distance et de fréquence des rencontres comme l’expression de l’état des relations entre les générations30. Agnès Pitrou [1992] établie qu’inversement, lorsqu’il n’y a pas d’aide offerte et acceptée entre deux ménages ascendants-descendants, c’est qu’il y a rupture, y compris relationnelle. Elle précise que les dons et services constituent dans les deux cas un ciment solide de l’affectivité, sans qu’il ne soit pour autant possible de dire si l’on s’entraide au nom de l’affection réciproque ou si c’est l’affection réciproque qui se nourrit de l’entraide. Interroger les formes de mobilisation des ressources parentales des 18-30 ans consiste donc à comprendre le processus d’autonomisation de ces adultes en devenir mais permet également d’approcher les régimes relationnels entretenus entre ascendants et descendants.

Nous nous attacherons tout particulièrement à distinguer quelles sont les différences que l’on peut observer entre des jeunes adultes issus de familles unies par rapport à ceux dont les parents se sont séparés. L’interrogation qui sous-tend ces observations met en avant le contexte économique spécifique consécutif à la séparation tel qu’il a été supposé dans le chapitre 3. Il suppose des conditions de vie d’autant plus difficiles après une séparation lorsqu’elle concerne des milieux plutôt défavorisés.

Notes
30.

Les différents auteurs de l’ouvrage « Les solidarités entre générations », sous la direction de C. Attias-Donfut, [1995] s’accordent globalement sur ces dimensions.