L’aide financière des parents : une question de statut avant tout

L’aide que les parents peuvent apporter au niveau économique n’est pas inconditionnelle. Vincenzo Cicchelli [2001], à propos des étudiants, montre que pour les parents, ‘ « le report des engagements statutaires de la vie adulte, le prolongement du financement des études, bref l’étirement du moratoire « psychosocial » [Erikson, 1972] se méritent » ’. Autrement dit, le fondement éducatif des parents à l’âge des études reposerait sur une sorte de contrat, énoncé à travers la notion de responsabilité. Cette dernière permettrait aux ascendants de résoudre le paradoxe entre le prolongement de la dépendance financière de leurs enfants afin qu’ils puissent obtenir un diplôme puis une position sociale, et l’apprentissage de leur propre prise en charge. L’aide économique apportée aux jeunes adultes ne serait pas tant un don désintéressé que la poursuite d’une stratégie éducative des parents quant à leurs ambitions de position et mobilité dans l’espace social [Bourdieu, 1989].

L’observation des données quantitatives sur les jeunes adultes de 18-30 ans, rend compte de ces enjeux. Les étudiants, porteurs de ce projet familial de mobilité sociale, sont les plus aidés (pour pratiquement les deux tiers d’entre eux). Ce transfert financier peut s’expliquer par le fait qu’ils sont alors considérés comme assignés en priorité à la construction de leur bagage social, la recherche de financements extérieurs ne devant être que secondaire et si possible non concurrentielle. La responsabilité de leur financement est alors portée par leurs parents. Mais à situation économique parentale équivalente, les jeunes adultes qui se déclarent sans activité – situation qui leur est vraisemblablement souvent imposée – ne sont que très peu souvent aidés régulièrement par leurs parents31. Cette opposition dans le traitement à situations de revenus équivalentes montre que les statuts occupés par les jeunes adultes mobilisent plus ou moins les ressources familiales. Etre sans activité paraît désinvestir les parents, tout se passant comme si leur rôle éducatif n’était alors plus engagé. Ce constat pose la question des fondements du rôle éducatif, pourtant a priori assorti de devoirs, en particulier d’élevage, à l’égard de leur progéniture. Il renvoie à la notion de mérite développée par Vincenzo Cicchelli, rendant l’aide parentale conditionnelle.

La faible part des jeunes adultes actifs aidés s’explique plus volontiers par leur accession à une certaine indépendance financière que leur permet un revenu fixe, laquelle lève l’obligation des parents de subvenir aux besoins de leurs descendants.

Tableau 3. Présence d'une aide financière parentale suivant le statut des jeunes adultes (% ligne)
aide financière d'au moins un parent pas d'aide financière des parents Total
Actifs occupés 9 92 100
Etudiants 65 35 100
Sans activité 14 86 100
Etudiants cohabitants 53 47 100
Etudiants vivant seuls 88 12 100
Etudiants vivant en couple 59 42 100
Etudiants en colocation 79 21 100
18 -22 ans 50 50 100
23 -26 ans 29 71 100
27 -30 ans 3 97 100
Répartition des bénéficiaires des aides parentales 27 73 100

N=853

Par ailleurs, en interrogeant la situation résidentielle des jeunes adultes, nous observons des variations importantes dans l’aide financière apportée par les parents. Tout d’abord, si les cohabitants32 sont également ceux qui sont le moins souvent aidés par leurs parents, ils sont tout de même plus de la moitié à bénéficier de leur part d’un apport financier régulier. Le gîte et le couvert ne sont donc pas considérés comme suffisants quant au rôle que se fixent les parents. Ils financent également d’autres dimensions de la vie quotidienne des jeunes adultes.

Parmi les décohabitants, ce sont les étudiants qui vivent seuls qui sont le plus souvent aidés régulièrement, devant ceux qui habitent en colocation et ceux qui sont en couple. Outre le statut des jeunes adultes, la situation résidentielle est également en lien avec l’aide parentale. Mais il est difficile de savoir si les étudiants ont recours à la colocation ou s’installent plus rapidement en couple parce que n’étant pas aidés par les parents, cette situation est plus économique, ou au contraire, si c’est en raison de leur situation résidentielle que les parents se sont désengagés financièrement. Ces dimensions ne sont pas possibles à départager au regard des données disponibles, mais également parce qu’il serait difficile pour ces jeunes de déterminer quelle dimension a été le moteur de l’autre. Il s’agit a priori d’une négociation entre les deux parties. Néanmoins, et en particulier pour ceux qui vivent en couple, nous pouvons percevoir dans cette configuration résidentielle une affirmation d’une certaine indépendance vis-à-vis de la famille d’origine, dont l’expression peut être de cesser l’aide financière des parents. Ces deux indicateurs d’autonomie iraient ainsi de concert.

L’installation en couple est également fortement corrélée avec l’âge, laquelle dimension est étroitement liée au soutien économique des parents. Si pratiquement la moitié des 18-22 ans est aidée régulièrement par leurs parents, tous statuts confondus, ce n’est le cas que pour une portion congrue des 27-30 ans. D’une façon générale, que ce soit pour des raisons de changement de statut ou d’évolution dans le parcours résidentiel, la part des jeunes adultes aidés par leurs parents s’amenuise au fur et à mesure qu’ils vieillissent et s’éloignent ainsi de leur statut d’enfant. Ainsi, l’âge est sans doute le critère le plus structurant.

Notes
31.

Pour démonstration de cette affirmation, voir le tableau n°60 p345 des annexes pour le chapitre 4.

32.

Sont considérés comme cohabitants ceux ayant déclaré tout d’abord, à la question Q9A, loger avec leur père et/ou mère, ou tuteur, et ensuite, à la question Q9B, qu’il s’agissait bien pour eux de loger chez leurs parents et non de les accueillir à leur propre domicile. Tous les autres sont considérés comme décohabitants. Suivant le lien avec les personnes avec lesquelles ils ont déclaré loger, ils ont été classés comme résidants en couple (avec un concubin, conjoint ou petit ami), seul (sans autre personne ou avec des enfants), en colocation (avec des amis, de simples connaissances ou des membres de la famille autre que les parents).