Les spécificités du comportement des parents séparés

Les parents séparés allouent plus souvent que les autres des budgets établis, au détriment d’un don d’argent en fonction des besoins des jeunes adultes.

Graphique 4. Forme de l'aide financière des parents suivant leur situation matrimoniale
Graphique 4. Forme de l'aide financière des parents suivant leur situation matrimoniale

N = 216

L’allocation d’un budget établie dénote une approche visant à favoriser la prise d’autonomie des jeunes adultes dans la gestion de l’argent. En effet, ce dispositif du budget établi ne permet qu’un contrôle indirect des dépenses, voire pas de contrôle du tout [Cicchelli, 2001]. L’aide financière au coup par coup, en fonction des besoins, serait au contraire un moyen pour les parents d’exercer un contrôle direct sur ce qui est dépensé. Ce choix dans la forme de l’aide relèverait de deux logiques. La première serait celle de la gestion du budget familial serré : l’argent versé au jeune est réduit dans les périodes économiquement difficiles. La deuxième relèverait de la crainte d’introduire un rapport comptable au sein de la cellule familiale : chacun utilise les revenus familiaux en fonction de ce dont il a besoin, dans un souci d’attention à la communauté [Cicchelli, 2001].

Ce dernier type de conception familiale s’avère moins en adéquation avec la situation d’une séparation parentale, dans la mesure où la communauté familiale a déjà été démantelée. De fait, c’est dans ce type de structure familiale que l’on rencontre le moins souvent ce type d’organisation.

Cette différence dans la forme prise par l’aide financière parentale n’est pas marquée de la même façon suivant le statut d’activité qu’occupent les jeunes adultes. Ainsi, lorsqu’ils sont étudiants, les parents séparés vont avoir beaucoup plus souvent tendance à octroyer un budget établi que les parents mariés. Il en ira de même pour ceux dont les situations professionnelles ne sont pas encore installées et qui ne sont plus en formation : les jeunes adultes sans activité professionnelle reçoivent généralement un budget établi lorsque leurs parents sont séparés alors que c’est beaucoup moins souvent le cas quand les parents sont mariés43. En revanche, lorsqu’il s’agit de l’aide financière aux jeunes adultes en activité, les comportements tendent à s’unifier, quel que soit le statut matrimonial des parents. Ils ont plus souvent inclination à verser de l’argent en fonction des besoins que lorsqu’ils sont face à des étudiants. La part des jeunes actifs qui bénéficient d’un budget établi reste majoritaire. L’on peut penser qu’il s’agirait alors d’une sorte de complément de salaire quand les revenus issus du travail ne suffisent pas encore à assurer le niveau de vie auquel les jeunes peuvent prétendre étant donné leur niveau d’étude et leur milieu social d’origine, pratique caractéristique des milieux les plus favorisés [Pitrou, 1992].

Tableau 10. Forme de l'aide financière parentale en fonction du statut matrimonial des parents et du statut d'activité des jeunes adultes (%)
  Parents séparés Parents mariés
  Budget établi En fonction des besoins Part des jeunes adultes aidés Budget établi En fonction des besoins Part des jeunes adultes aidés
Actifs occupés 57 43 17 57 43 17
Etudiants 77 24 77 67 33 76
Sans activité 100   6 31 69 7
Ensemble 75 25 100 62 38 100

* pour permettre une meilleure lecture du tableau, nous avons supprimé les 5 individus qui avaient des parents séparés dont l’un donnait un budget établi et l’autre en fonction des besoins. Effectif marginal, il brouillait la lecture des données. Les effectifs restent faibles dans la catégorie « parents séparés) (n=41).Parents mariés : n=175.

Cette supposition se vérifie en observant de plus près la situation professionnelle des jeunes actifs encore aidés financièrement par leurs parents. Malgré la faiblesse des effectifs, nous avons déjà montré que ce sont bien ceux qui travaillent à temps partiel – lesquels sont également ceux qui touchent le salaire le moins élevé44 – qui sont le plus susceptible d’être aidés financièrement pas leurs parents. Il s’avère que cette aide est de préférence versée sous la forme d’un budget établi, ce qui confirme l’hypothèse d’une sorte de complément de salaire lorsque le revenu est limité.

Tableau 11. Forme de l'aide parentale suivant le taux d'activité des jeunes actifs (%)
Tableau 11. Forme de l'aide parentale suivant le taux d'activité des jeunes actifs (%)

Pour être exhaustif, précisons que le fait que les jeunes adultes soient des filles ou des garçons ne change rien à la forme de l’aide financière des parents quand elle est octroyée45. Les pratiques adoptées dans les familles dépendent de leurs conceptions éducatives et de la fonction que doit occuper l’aide financière engagée, mais apparemment peu du genre du bénéficiaire.

L’histoire matrimoniale des parents n’introduit pas non plus de changement significatif dans le fait d’accorder ou non une aide financière selon le sexe du descendant46.

Les parents restent, même une fois le temps des études terminées, les interlocuteurs privilégiés pour pallier les difficultés financières. Ces résultats confirment des observations plus anciennes faites par Agnès Pitrou (1992) qui montre que ‘ « finalement, les parents sont bien là pour continuer leur soutien, même auprès des ménages ayant pris leur autonomie ; ils sont prioritaires dans la liste des donneurs d’aide. » ’(p. 91). La séparation du couple des parents n’altère pas cette conception partagée entre parents et enfants du rôle de soutien des parents.

Nous retiendrons principalement de ces analyses la propension des parents séparés à favoriser une prise d’autonomie plus importante en octroyant un budget plutôt qu’en finançant les dépenses de leurs enfants au coup par coup.

Notes
43.

Les effectifs sont très faibles pour les jeunes sans activité, mais la répartition concernant les types d’aide financière semble radicalement opposée. Nous prendrons néanmoins ces informations avec beaucoup de prudence.

44.

Parmi les jeunes adultes qui travaillent à temps partiel, 74 % touchent un salaire inférieur à 750 euros, alors que ce n’est le cas que pour 5 % de ceux qui travaillent à temps plein. Voir graphique 53 p 347 en annexe.

45.

Voir graphique 54 p 347 en annexe.

46.

Voir tableau 66 p 345 en annexe.