Dans cet apprentissage graduel de l’autonomie vis-à-vis de la famille d’origine, la gestion du linge constitue un indicateur intéressant. L’interroger au regard de la question de la séparation du couple des parents permet d’approcher les éventuelles différences dans les processus d’autonomisation suivant la socialisation familiale à laquelle les jeunes adultes interrogés ont été exposés.
Qu’ils soient issus de parents qui se sont séparés ou non, la part des décohabitants qui déclarent s’occuper eux-mêmes de leur linge est très majoritaire et représentent plus de neuf jeunes adultes sur dix. Les parents participent à cette tâche surtout pour les plus jeunes. Mais les enfants de parents séparés sont plus rapidement indépendants de ces derniers sur ce point, puisque la part des 18-22 ans qui se font aider est moins importante pour cette configuration familiale et qu’elle ne va qu’en diminuant au fur et à mesure que l’âge augmente. Aussi, même si globalement, les parents séparés ne s’occupent pas plus du linge de leurs descendants que les autres, cette délégation se fait plus précocement.
| 18 à 22 ans | 23 à 26 ans | 27 à 30 ans | Ensemble | |
| Parents séparés | 19 | 4 | 3 | 7 |
| Parents mariés | 27 | 10 | 3 | 9 |
Sous-population des décohabitants, n=557.
Les informations recueillies sur l’équipement même du logement nous montrent que les jeunes adultes issus de parents séparés sont, plus souvent que les autres, équipés d’un lave-linge à leur domicile (+ 9,2 points). Faut-il voir là un élément qui permette d’expliquer qu’ils soient plus enclins à laver eux-mêmes leur linge indépendamment de leurs parents, et de façon plus précoce ? Cette indication nous montre surtout qu’il s’agit pour eux d’un équipement plus prioritaire qui traduit un départ effectif du domicile parental. Laver son linge – y compris soi-même – au domicile des parents suppose d’être dépendant d’un retour chez eux pour pouvoir s’acquitter de cette tâche ménagère. Elle traduit en ce sens combien le logement du jeune adulte peut n’être qu’une extension du domicile parental, les points névralgiques de la gestion domestique restant à la « maison mère ». De plus, la détention d’un lave-linge implique de disposer de la place nécessaire (ce qui exclu par exemple la chambre en cité universitaire) et une certaine stabilité résidentielle étant donné le poids et l’encombrement de ce type d’équipement.
Les jeunes adultes de parents séparés, s’ils sont plus souvent équipés d’un de ces engins à leur propre domicile que ceux dont les parents vivent ensemble, le sont surtout plus précocement puisqu’ils sont déjà près de 8 sur 10 à posséder un lave-linge à domicile entre 18 et 22 ans alors que c’est le cas pour moins de la moitié de ceux issus de parents mariés.
| Parents séparés | Parents mariés | |
| 18-22 ans | 80 | 44 |
| 23-26 ans | 84 | 75 |
| 27-30 ans | 91 | 91 |
| Jeunes adultes équipés ensemble | 86 | 77 |
Sous-population des décohabitants, n=557.
Les enfants de parents séparés sont donc plus massivement et plus précocement équipés pour gérer à leur propre domicile les tâches ménagères, alors que cet équipement n’apparaît que petit à petit comme une dimension importante de l’autonomie lorsque les parents vivent ensemble59. Le foyer familial que constitue un couple parental uni se révèle de cette façon être un pôle domestique plus attractif, dans le sens où il constitue un référent avec des habitudes domestiques plus évidentes et plus ancrées. Il est également probable que c’est dans ce cadre que la division sexuée des tâches est la plus affirmée60, les situations de monoparentalité ou de recomposition bousculant ce type de repère.
Au regard des hypothèses qui sous-tendent ces observations, nous mettons plutôt en évidence une plus grande précocité dans l’autonomie domestique. Elle traduit la moins grande prégnance des fonctions parentales telle que nous l’avons supposé précédemment.
Par ailleurs, l’hypothèse selon laquelle les décohabitants issus de parents séparés seraient installés plus loin que les autres du domicile de leurs parents – laquelle permettrait d’expliquer un taux d’équipement supérieur puisqu’il serait plus difficile pour eux de se servir du lave-linge familial – n’est pas vérifiée : ils ont plus souvent décohabité localement et se trouvent plus souvent à proximité du domicile d’au moins un des parents (Développement de ces aspect dans la partie « Proximité et distance : l’inscription territoriale de la décohabitation », chapitre 7, p 134.
Le linge constitue l’un des domaines domestiques où les femmes sont les plus actives [Kaufmann, 1992]. Dans l’enquête, près des 3/4 des jeunes qui déclarent que ce sont leurs parents qui lavent leur linge précisent que c’est leur mère qui s’en charge.