Les dons de nourriture.

La nourriture et les repas constituent des éléments symboliquement forts dans les relations entre parents et enfants, puisque la fonction nourricière est parmi les premières dévolues aux parents [Lamour et Barraco, 1998]. Ainsi, dans de nombreux cas, même une fois qu’ils résident dans un logement indépendant, les jeunes adultes continuent de s’alimenter à partir de nourriture qui provient du foyer parental. Arguant des difficultés à cuisiner dans leur nouvel habitat (cité U, par exemple) ou des aspects fonctionnels de telles pratiques, les jeunes interrogés nous ont fréquemment fait part de cette circulation de denrées. Contrairement aux aspects financiers, exposés avec beaucoup de pudeur et de volonté de majoration des ressources obtenues par soi-même, ces transferts apparaissent dans les entretiens comme normaux et justifiés. Ils ne sont pas perçus à proprement parler comme des enjeux de l’émancipation, alors qu’ils sont caractéristiques de la relation entre parents et enfants, et que par leurs existences mêmes, ils l’incarnent.

Les réponses à ces questions peuvent donc être considérées comme relativement fiables dans la mesure où elles n’apparaissent pas comme objet d’enjeu pour les jeunes adultes dans la mise en scène de leur émancipation. Il n’y a d’ailleurs pas de non réponses. Pourtant, elles constituent un indicateur intéressant de la relation entre parents et jeunes adultes.

Malgré la déconstruction quelque peu artificielle de la distinction des dons nourriciers fait par la mère d’une part, et le père d’autre part, la différence est significative entre les deux parents lorsqu’ils vivent ensemble. La mère se révèle être plus souvent à l’initiative de ces dons de nourriture que le père, ce qui cadre avec la répartition des tâches ménagères dans le couple : la confection de repas est encore largement du domaine féminin [Kaufmann, 1992].