L’influence du réseau de sociabilité amicale sur les usages du téléphone

Les contextes amicaux dans lesquels les jeunes adultes évoluent sont également des éléments susceptibles d’expliquer leur sociabilité téléphonique amicale. Ils posent en outre la question de la compensation d’un soutien affectif par un autre. Appelle-t-on plus souvent ses parents, toutes proportions gardées, lorsque l’on a très peu d’amis ? En d’autres termes, bien que la culture du téléphone apparaisse comme le principal élément d’explication de la plus ou moins grande propension à téléphoner, que se passe-t-il lorsque ce n’est pas une question de culture du téléphone qui est un obstacle à l’utilisation de ce média mais l’absence d’interlocuteurs potentiels ?

Deux indicateurs de sociabilité vont nous permettre d’évaluer si le réseau des jeunes adultes enquêtés en la matière est plutôt dense ou plutôt lâche. Sans qu’il soit possible de savoir si ce réseau est étendu ou pas, il est toutefois envisageable, à travers le nombre de sorties mensuelles dans les bars (ou pubs)102 d’une part, et les sorties-dîner chez des amis103 d’autre part, d’évaluer la place tenue par la sociabilité amicale dans les pratiques quotidiennes de loisir.

A propos des sorties dans les bars et les pubs, les jeunes adultes décohabitants se répartissent en trois grands groupes : ceux qui ne vont jamais dans ces lieux (38 %), ceux qui n’y vont que ponctuellement (37 %) et ceux qui y vont au moins une fois par semaine (25%). La corrélation entre le nombre de sorties dans les bars et le nombre d’appels passés aux amis est linéaire : plus on sort dans ce type de lieu, plus la sociabilité téléphonique amicale est élevée.

Graphique 31. Nombre d'appels téléphoniques passés aux amis dans les 8 derniers jours selon le nombre de sorties mensuelles dans des bars ou pubs
Graphique 31. Nombre d'appels téléphoniques passés aux amis dans les 8 derniers jours selon le nombre de sorties mensuelles dans des bars ou pubs

Sous-population : décohabitants

Afin de prendre en considération ceux qui ont comme préférence de sortie les lieux privés, nous avons également analysé les invitations à dîner au cours du mois précédant l’enquête. 30 % des jeunes adultes décohabitants n’ont pas été manger chez des amis pendant cette période, 32 % y ont été ponctuellement, 25 % sont reçus une ou deux fois par semaine tandis que 13 % sont invités au moins deux fois par semaine. De la même manière que pour ceux qui affectionnent les sorties dans les bars, plus on est invité à dîner, plus la sociabilité téléphonique amicale est élevée.

Graphique 32. Nombre d'appels téléphoniques passés aux amis dans les 8 derniers jours selon le nombre d’invitations à dîner chez des amis dans le mois
Graphique 32. Nombre d'appels téléphoniques passés aux amis dans les 8 derniers jours selon le nombre d’invitations à dîner chez des amis dans le mois

Sous-population : décohabitants

Qu’elle soit plutôt tournée vers les lieux publics ou plutôt tournée vers les espaces privés104, plus le réseau amical est dense, plus la pratique téléphonique en direction de ce réseau est intense. La pratique téléphonique en direction des amis est donc bien en lien avec le contexte relationnel amical dans lequel les jeunes adultes évoluent.

La question qui se pose alors est de savoir si, lorsque l’on est amicalement très entouré, cela tend à diminuer les contacts avec la famille et en particulier avec la mère. A contrario, quel rôle joue le soutien maternel lorsque le réseau amical est faible ?

Présentée sous la forme d’un tableau des écarts, la relation entre la propension à sortir dans les bars et les pubs et la fréquence des contacts téléphoniques avec la mère montre toute sa complexité. Il n’y a pas de lien linéaire qui apparaisse comme lorsque l’on interroge le rapport entre pratiques téléphoniques avec la mère et pratiques de sorties entre amis.

Le résultat le plus clair est que lorsqu’on ne sort jamais dans les bars, on est plus souvent que les autres très fréquemment en relation téléphonique avec sa mère. Nous pouvons voir là un recours au soutien maternel face à un réseau de sociabilité faible. Cette tendance se confirme lorsque l’on interroge la relation entre les invitations à dîner et la fréquence des contacts téléphoniques avec la mère : là aussi, lorsqu’il n’y a aucune invitation, les appels entre les jeunes adultes et leur mère sont particulièrement fréquents. Lorsque que le réseau relationnel est pauvre, nous pouvons finalement observer une pratique téléphonique intense mais sur un nombre réduit d’interlocuteurs dont la mère fait partie

Pour les autres intensités de pratiques de sorties, il n’y a pas de corrélation claire. Ce n’est pas parce que l’on sort beaucoup que la fréquence des communications téléphoniques avec la mère augmente ou baisse. En fait, elle reste hebdomadaire, ce qui est la fréquence modale pour cette population. Ce que Carole-Anne Rivière expose dans sa recherche rejoint cette observation : une sociabilité amicale qui repose sur des réseaux étendus et diversifiés, indice de richesse relationnelle, « ‘ peut ne pas être exclusive d’une sociabilité familiale alors qu’une sociabilité familiale peut être exclusive d’une sociabilité amicale  ’»105.

Graphique 33. Tableau des écarts entre la fréquence des contacts téléphoniques avec la mère et les sorties mensuelles dans les bars
Graphique 33. Tableau des écarts entre la fréquence des contacts téléphoniques avec la mère et les sorties mensuelles dans les bars

Sous-population : décohabitants

Graphique 34. Tableau des écarts entre la fréquence des contacts téléphoniques avec la mère et les invitations à dîner
Graphique 34. Tableau des écarts entre la fréquence des contacts téléphoniques avec la mère et les invitations à dîner

Sous-population : décohabitants

L’observation des liens entre le contexte des pratiques de sociabilité et l’usage du téléphone en direction des amis apporte des éléments complémentaires au constat d’un comportement téléphonique régit selon une certaine « culture » du téléphone. Plus les pratiques de sociabilité sont intenses (sorties, invitation à dîner…), plus les échanges téléphoniques amicaux sont élevés. La culture du téléphone va de pair avec une culture de la sociabilité amicale. Les régimes des communications téléphoniques sont à l’image de la sociabilité amicale des jeunes adultes.

Lorsque le réseau amical fait défaut, il semble que la mère soit plus présente dans les communications téléphoniques, ce qui apparaît comme une forme de soutien, de compensation d’une sociabilité amicale faible. En dehors de ces cas extrêmes, la teneur de la fréquence des échanges avec la mère ne semble pas dépendre des pratiques de sociabilité des jeunes adultes.

Notes
102.

Sachant que dans 92 % des cas, les enquêtés sortent dans les bars et les pubs avec leurs amis.

103.

Ont été pris en considération les « collègues d’études » pour lesquels aucune obligation de rencontre n’existe et les « autres amis », c’est-à-dire que seuls les collègues de travail sont en fait exclus.

104.

En fait, dans la plupart des cas, plus les jeunes adultes sortent dans les bars et plus ils sont souvent reçus à dîner chez des amis.

105.

Rivière, 2001. p21.