L’incidence de la séparation des parents sur la fréquence des communications téléphoniques entre les jeunes adultes et leur père.

De façon tendancielle, les jeunes adultes sont moins souvent en contact téléphonique avec leur père quand celui-ci est séparé de la mère que quand les parents vivent ensemble. Presque 54% des pères mariés s’entretiennent téléphoniquement au moins une fois par semaine avec leur enfant, alors que ce n’est le cas que pour 28 % des pères séparés. La communication très fréquente avec le père (plusieurs fois par semaine) est tendanciellement bien plus probable dans les familles « unies » que dans celles dissociées (14 points d’écart).

Graphique 38. Fréquence des conversations téléphoniques entre le jeune adulte décohabitant et son père suivant sa situation matrimoniale (en %)
Graphique 38. Fréquence des conversations téléphoniques entre le jeune adulte décohabitant et son père suivant sa situation matrimoniale (en %)

Sous-population des décohabitants.

En plus des fréquences de communications téléphoniques globalement moins fortes avec les pères séparés, la part de ceux qui n’ont pas de communication téléphonique directe avec leur enfant est plus élevée lorsqu’il y a eu séparation : elle concerne 31 % des pères séparés contre 18 % des pères mariés, soit 13 points de différence. Les contacts téléphoniques rares (moins d’une fois tous les 15 jours) sont également deux fois plus fréquents lorsque les pères sont séparés que lorsqu’ils sont encore mariés avec la mère.

Outre l’importance de cet écart, les réalités que ces chiffres recouvrent sont très différentes. Nous l’avons vu, lorsque la mère est présente aux côtés du père, elle pourra relayer l’entretien du lien à distance et servir d’intermédiaire entre le père et le jeune adulte. L’absence de contact direct ne signifie pas qu’il y ait rupture de la relation. En revanche, lorsque le père ne peut pas s’appuyer sur l’aide maternelle pour cause de séparation, les échanges téléphoniques décrivent plus fidèlement l’intensité de la relation. Des contacts téléphoniques épars rendent compte d’une relation distendue, où on ne fait pas part de son quotidien, alors que par ailleurs, c’est la norme127. La séparation des parents a alors une incidence majeure puisque la relation développée repose sur un suivi lointain de l’un par l’autre. Lorsqu’il n’y a pas de communication téléphonique, il n’y a plus non plus de relation activée, les visites ne venant pas compenser les communications téléphoniques.

Ces chiffres vont dans le sens des observations faites par ailleurs dans le cadre de l’enquête nationale menée par l’INED128 sur Les Situations familiales et l’Emploi [Villeneuve-Gokalp C. et Léridon H., 1994]. Celle-ci montre que parmi les enfants dont les parents sont séparés – mais tous les deux vivants – un tiers ne voyait jamais le parent dont il est séparé. De surcroît, un quart des enfants de parents séparés n’avait alors plus que des relations espacées avec l’un de ses deux parents.

Il est difficile de comparer strictement les chiffres annoncés par l’enquête de l’INED et ceux recueillis dans le cadre de ce travail : d’une part, il s’agissait d’une enquête à représentativité nationale, alors qu’ici, seule l’agglomération lyonnaise est évoquée. D’autre part, la part des non-réponses laisse également une part d’ombre (elle représente 12 % sur ces questions dans l’enquête de l’INED). En comparaison, les non-réponses pour notre enquête sont négligeables. Ensuite, nous avons interrogé des jeunes adultes âgés entre 18 et 30 ans alors que l’enquête de l’INED s’adressait à des personnes entre 21 et 45 ans. Les informations étaient alors recueillies auprès d’un parent au sujet des enfants, alors que notre enquête s’adresse aux descendants. Enfin, les questions n’étaient pas formulées tout à fait de la même façon, ni selon le même protocole d’enquête, l’Enquête sur les Situations Familiales ayant été administrée en face à face par des enquêteurs de l’INED.

Toutefois, la fréquence des visites était également interrogée dans notre questionnaire. Il apparaît que 31 % des jeunes adultes décohabitants ne rendent jamais visite à leur père et 35 % moins d’une fois par mois. Cela porte à 66 % les jeunes adultes de notre enquête qui n’entretiennent pas des relations suivies avec leur père. Dans le cadre de l’enquête INED, cette proportion était de 54 %, à laquelle les auteurs proposent d’ajouter la plupart des « non réponse » (12 %) qui semblent correspondre, aux vues des autres réponses, à une absence de relation avec leur père. On peut estimer alors à 66 % les enfants séparés du père dans ce cas de figure. Ce sont ainsi des résultats très proches que l’on trouve entre ces deux enquêtes que 18 ans séparent, malgré la différence d’échantillonnage, tant sur le plan géographique que vis-à-vis des caractéristiques des personnes interrogées.

Nous avons choisi pour notre part de nous focaliser sur les fréquences des échanges téléphoniques dans la mesure où ils permettent de s’affranchir des distances spatiales dans l’analyse. Ces deux indicateurs sont globalement corrélés mais ne recouvrent pas exactement la même réalité. Certains pères ne sont jamais visités mais ont quelques échanges téléphoniques ; tandis que d’autre sont visités mais n’ont aucun échange téléphonique. Toutefois, on constate tendanciellement que la fréquence des contacts téléphoniques va de pair avec la fréquence des visites et que ces deux indicateurs vont dans le même sens.

Graphique 39. Fréquence des contacts téléphoniques avec le père séparé suivant la fréquence des visites à son domicile (%)
Graphique 39. Fréquence des contacts téléphoniques avec le père séparé suivant la fréquence des visites à son domicile (%)

Sous-population des décohabitants. N=128.

Les observations faites par l’intermédiaire du lien téléphonique dans notre travail s’approchent également de ce que l’enquête de l’INED, plus ancienne, annonçait. Les ruptures complètes et les contacts téléphoniques rares sont un peu moins fréquents dans notre travail, alors qu’il s’agit ici seulement des liens avec le père. Mais il est possible de minimiser en partie nos résultats obtenus à partir des conversations téléphoniques en imaginant quelques situations marginales pour expliquer qu’il n’y a pas de communication téléphonique entre le père et son descendant. Par exemple, un père peut résider à l’étranger, sans possibilité de communications téléphoniques, ou au contraire un père peut habiter tellement proche du domicile de l’enquêté qu’ils se voient sans avoir à anticiper téléphoniquement la rencontre. Enfin, on peut imaginer que c’est la nouvelle compagne du père qui se charge des communications téléphoniques. Mais si on en croit les entretiens réalisés, ces cas de figures sont très peu répandus.

L’absence de communication téléphonique représente très certainement l’absence de relations entre le jeune adulte et son père, sans doute plus fidèlement encore que ne peut le faire l’indicateur des visites.

Notes
127.

Entendu comme le comportement le plus répandu.

128.

Enquête réalisée en collaboration avec l’INSEE et le concours financier de la CNAF en novembre-décembre 1985.