La gestion du téléphone lorsque les parents sont séparés

Quelles sont les conséquences apparentes de la séparation des parents sur les régimes de communications téléphoniques avec chacun des parents ?

Bien que l’on constate également une corrélation entre les fréquences d’appel respectives des parents séparés, la tendance à l’égalité des pratiques entre le père et la mère est beaucoup moins marquée que quand ils vivent ensemble [Voir tableau 45 p 217]. Ainsi, même si tendanciellement, la recherche d’une certaine égalité perdure, elle est très amoindrie par la séparation.

Tableau 47. Fréquences comparées des conversations téléphoniques du père et de la mère séparés à l’égard du jeune adulte décohabitant (% ligne).
Tableau 47. Fréquences comparées des conversations téléphoniques du père et de la mère séparés à l’égard du jeune adulte décohabitant (% ligne).

Sous-population des décohabitants dont les parents sont séparés. N= 128.

REMARQUES SUR LA CONSTITUTION DU TABLEAU : étant donné l’effectif réduit (N=128), nous avons procédé, par rapport au même questionnement pour les parents vivants ensemble, à un regroupement de modalités concernant la fréquence des communications de la part du père en réunissant sous la modalité « au moins une fois par semaine » les communications plusieurs fois par semaine (peu nombreuses) et celles une fois par semaine. Pour des raisons d’effectifs également, nous avons supprimé la modalité « pas de conversation téléphonique » pour les fréquences des contacts téléphoniques avec les mères : seulement 3 personnes avaient choisi cette modalité et cela brouillait la lecture du tableau.

Comme cela a déjà été observé, les fréquences des communications avec les pères sont nettement moins importantes quand ils sont séparés et les fréquences des communications avec la mère ne varient pratiquement pas. Ceci entraîne mécaniquement un plus grand décalage entre la fréquence des communications avec le père et celle avec la mère. Plus particulièrement, la proportion des jeunes adultes qui n’ont pas du tout de contact téléphonique direct avec leur père est beaucoup plus importante : 31 % contre 18 % lorsque les parents vivent ensemble. Malgré ce décalage, la tendance est la même que lorsque les parents vivent ensemble : lorsqu’il n’y a pas de communication avec le père, la fréquence élevée des contacts téléphoniques avec la mère est surreprésentée. Parmi ceux qui ne discutent jamais au téléphone avec leur père séparé, 54 % ont leur mère plusieurs fois par semaine au téléphone (contre 44 % en moyenne).

Comment expliquer cette surreprésentation des communications téléphoniques entre les jeunes adultes et leur mère lorsqu’il n’y a pas de contact avec le père ? La première analyse que l’on peut en faire est qu’il semble exister une tendance à surinvestir le lien mère-enfant pour compenser l’absence de liens avec le père. D’une certaine façon, l’absence d’une tierce personne – normalement incarnée par le père – engendrerait un surinvestissement du lien maternel.

Nous pouvons également considérer qu’il existe une sorte de « masse critique » d’échanges vis-à-vis de la famille qui tient au temps que l’on peut consacrer aux relations familiales dans la vie quotidienne. L’absence de « concurrent » pour remplir le temps disponible ferait de la mère l’interlocuteur unique et donc bénéficiaire dans sa totalité du temps disponible pour cette sociabilité.

Comment comprendre globalement que les mères continuent à avoir des relations suivies alors qu’avec les pères, elles tendent à se relâcher ? L’analyse menée sur les organisations mises en œuvre dans les familles unies nous permet d’avancer une explication. Certains systèmes d’organisation familiale fonctionnent de telle sorte que seules les mères expérimentent l’usage du téléphone et son efficacité dans l’entretien des liens intergénérationnels. L’hypothèse déjà formulée précédemment prend tout son sens : la rupture du lien téléphonique avec les pères après la séparation tiendrait au moins pour partie à un défaut d’apprentissage de la part de ces pères. Ils auraient laissé à la mère le soin d’utiliser l’outil téléphone. La méconnaissance de l’usage social de ce média aurait pour ceux-ci constitué un obstacle à l’entretien de lien avec le jeune adulte.

Tableau 48. Fréquences comparées des conversations téléphoniques du père et de la mère séparés à l’égard du jeune adulte décohabitant (% par case).
Tableau 48. Fréquences comparées des conversations téléphoniques du père et de la mère séparés à l’égard du jeune adulte décohabitant (% par case).

Sous-population des décohabitants dont les parents sont séparés.

Seuls 3 % des jeunes adultes n’ont pas de contacts téléphoniques avec leur père tout en ayant que de rares communications téléphoniques avec leur mère lorsqu’ils sont séparés, et seulement deux enquêtés déclarent n’avoir de contacts téléphoniques avec aucun de leurs parents divorcés. L’absence de relations téléphoniques avec ses parents est donc très marginale. Tout se passe comme si l’entretien de ce lien constituait un élément fondamental dans la socialisation de ces jeunes adultes, même si dans certain cas, les fréquences de mise en relations téléphoniques sont rares. Si l’on comptabilise les enquêtés ayant déclaré être en contact avec au moins un de leurs parents, au moins une fois par semaine, nous obtenons 83 % des jeunes dont les parents sont séparés133.

L’activation téléphonique hebdomadaire du lien intergénérationnel constitue la norme et démontre la persistance et la prégnance des liens parents-enfants lorsque ceux-ci deviennent adultes, même si les fréquences sont tendanciellement moins importantes que lorsque les parents vivent ensemble. Remarquons également que lorsque les parents sont séparés, c’est seulement avec la mère que l’on observe une fréquence pluri-hebdomadaire (pour 43 % des enquêtés), situation que l’on n’observe que pour une toute petite part des pères séparés (6 %).

Tendanciellement, la séparation semble entraîner un suivi de la relation plus lâche : la proportion de jeune adulte en contact téléphonique avec son père ou sa mère au moins une fois par semaine est plus faible lorsqu’il y a eu séparation du couple parental. L’observation du contexte dans lequel ces liens sont entretenus nous permet de nuancer ce résultat.

Lorsque les parents vivent ensemble, la médiation d’un des parents (nous l’avons vu : généralement la mère) peut intervenir, en « passant » par exemple l’autre parent au bout du fil. Le nombre de communications décomptées est doublé, mais l’effort engagé pour obtenir ce résultat ne peut pas mécaniquement être multiplié par deux, la démarche qui consiste à prendre l’initiative du contact étant unique. En revanche, lorsque les parents vivent dans deux logements différents, chaque contact avec un parent peut être comptabilisé comme un contact supplémentaire avec la famille. L’effort engagé au maintien du lien est alors dénombrable à la hauteur de la fréquence des communications.

La question est de savoir quelle part dans la vie des personnes enquêtées est consacrée à l’alimentation des liens familiaux. Posé de cette façon, le décalage constaté suivant la situation matrimoniale des parents est minimisé. L’effort individuel développé par chacun des protagonistes du triangle père-mère-jeune adulte devient comparable. Celui fourni par les pères est même probablement supérieur lorsqu’il y a eu séparation. Toute la question est en définitive de savoir si la nature de la relation entre ascendant et descendant dépend d’abord de la fréquence des communications téléphoniques ou de l’intention qui est mise dans son activation.

Graphique 41. Comparaison de l’homogénéité des fréquences des contacts téléphoniques du père par rapport à la mère suivant la situation matrimoniale du couple des parents (%).
Graphique 41. Comparaison de l’homogénéité des fréquences des contacts téléphoniques du père par rapport à la mère suivant la situation matrimoniale du couple des parents (%).

Sous-population des décohabitants.

Si nous interrogeons plus spécifiquement le régime relationnel entre père, mère et jeune adulte, nous constatons que lorsque le noyau familial est intact, les comportements parentaux tendent soit vers une certaine homogénéisation, soit vers une délégation à la mère du relais de l’information. Lorsque le couple des parents est désuni, les comportements sont globalement plus hétérogènes. Ceci s’explique d’abord par la différence de contextes dans lesquels les parents se trouvent : à chacun de prendre en charge personnellement l’entretien des contacts téléphoniques. Du point de vue des déclarations des jeunes adultes, la séparation des parents rend la distinction de leurs pratiques plus évidente, l’entité « les parents » se décomposant plus clairement entre « le père » et « la mère ».

L’enjeu de la déclaration varie également. Alors que pour les jeunes adultes issus de parents mariés, il était important de ne pas hiérarchiser la fréquence des communications afin d’afficher une certaine unité familiale134, l’enjeu peut être, lorsqu’il y a eu séparation, de montrer combien l’un des parents est défaillant par rapport à l’autre en minimisant la pratique de l’un et majorant celle de l’autre. Ce type d’enjeu explique ainsi également pour partie la plus grande hétérogénéité des comportements téléphoniques lorsque les parents sont séparés.

Ces effets de structure et de déclaration mis à part, nous observons finalement que, hors du contexte de résidence partagée et du système du couple, les relations du jeune adulte à l’égard de la mère ne dépendent pas du fait qu’elle soit séparée ou mariée : si la répartition des fréquences des communications est différente, cela tient à d’autres dimensions, comme le milieu social de la mère ou le contexte de vie des jeunes adultes, comme on a pu le voir en général sur les communications téléphoniques entre ascendants et descendants. En revanche, la différence de situation matrimoniale renvoie à des distributions de communications téléphoniques à l’égard des pères très variables. Globalement plus rares, celles-ci se caractérisent plus particulièrement, dans certains cas, par une rupture totale du lien – situation pratiquement inexistante en ce qui concerne les mères. La question qui se pose alors est de comprendre les mécanismes en œuvre lors de la séparation qui puissent expliquer ces variations dans la distribution des pratiques.

Notes
133.

Contre 95 % lorsque les parents vivent ensemble.

134.

Il est peu légitime de dire que l’on préfère sa mère ou son père.