Communications longues : se raconter.

Enfin, la nature de l'appel peut avoir l’organisation d'une véritable conversation, alimentée de part et d'autre par des considérations intimes. Qu'il y soit relaté un problème personnel, ou que cela soit une discussion sur une question générale, ce type de communication traduit un rapport de proximité important entre l'enquêté et son interlocuteur. La teneur relationnelle de ce type de conversation est importante, et si des éléments informatifs y figurent, ils ne constituent pas le corps de l’échange verbal. La communication téléphonique peut, dans cette perspective, être une forme de remplacement d’une visite qui n’est pas matériellement possible, par manque de temps ou en raison de la distance entre les domiciles. Ce dispositif permettant de pallier une absence est ainsi particulièrement pertinent dans le cas de conversations entre ascendants et descendants, catégories de personnes entre lesquelles on peut plus spécifiquement observer une substitution des appels téléphoniques aux rencontres en face à face [Rivière, 2001]. Nous avons fixé à plus de 20 mn la durée de cette logique particulière d'utilisation du téléphone.

De fait, suivant la durée de conversation, nous vérifions que la teneur des propos diffère. à partir d’une classification des thèmes abordés lors des deux derniers échanges téléphoniques avec chacun des parents, nous constatons que plus ceux-ci durent longtemps, plus les dimensions relationnelles sont présentes. A l’inverse, plus les échanges sont habituellement courts, plus ils sont fonctionnels.

Graphique 45. Types de sujets abordés suivant la durée des conversations téléphoniques avec le père
Graphique 45. Types de sujets abordés suivant la durée des conversations téléphoniques avec le père

Sous-population des décohabitants.

Cette tendance est particulièrement perceptible en ce qui concerne les communications téléphoniques avec le père. Elle se vérifie également à propos de la mère bien que les écarts soient moins significatifs du fait d’une présence déjà plus importante des sujets relationnels pour toutes les durées de communications156.

Lorsque la communication entre le père et le jeune dure habituellement moins de 10 mn, l’objet de la communication est dans 83 % des cas essentiellement informatif et organisationnel. Plus le temps de communication a été long, plus cela signifie que des sujets ayant trait aux dimensions intimes et donc relationnelles ont potentiellement été abordés.

Ces résultats nous livrent deux informations. D’une part, ils nous montrent combien la dimension narrative et fonctionnelle est importante, en termes de proportion, dans les échanges téléphoniques. La fonction de ces conversations est donc, en tout premier lieu, informative. D’autre part, nous remarquons qu’aucune conversation uniquement relationnelle n’a été déclarée. Ce résultat montre l’importance des dimensions fonctionnelles qui constituent une forme d’amorce à des conversations plus intimes.

Le lien entre la durée des communications et la nature des conversations est ainsi démontrée. Cet indicateur du contenu des propos échangés nous permet alors d’analyser les relations des jeunes adultes avec leurs parents et de prendre la mesure des incidences de la rupture du couple parental sur celles-ci.

Ainsi, lorsqu’il y a effectivement communication téléphonique entre le jeune adulte et son père, la répartition des durées moyennes de communications téléphoniques suivant la situation matrimoniale du père est apparemment très semblable. A première vue, la séparation du couple des parents, si elle a un effet sur la fréquence des appels, ne semble pas constituer un facteur de différenciation des pratiques en termes de durée de ces conversations, et par extension sur le contenu des échanges lorsque le contact a été maintenu.

Tableau 51. Durée des communications téléphoniques entre le jeune adulte décohabitant et son père suivant sa situation matrimoniale
  Pères séparés Pères mariés Ensemble
  Effectifs % Effectifs % %
Non réponse 40 107
moins de 10 mn 44 50 195 54 53
entre 10 et 20 mn 30 34 122 34 34
plus de 20 mn 14 16 47 13 14
Total 88 100 364 100 100

Sous-population des décohabitants.

Remarquons que pour ces répartitions, le nombre de non-réponse est élevé en raison du nombre important de jeunes adultes qui n’ont pas de communications téléphoniques directes avec leur père.

Cette répartition générale de la durée moyenne de communication téléphonique entre père et jeune adulte nous montre néanmoins que plus de la moitié d’entre elles (53 %) sont courtes. Autrement dit, l’usage du téléphone à l’égard du père se fait majoritairement dans une perspective fonctionnelle. Il est peu question d’avoir une conversation de type « relationnel » à l’aide de cet outil (14 %) et de ce fait, nous pouvons supposer que la relation de face-à-face constitue une alternative pour aborder des dimensions plus intimes. Pour un tiers des jeunes adultes, les communications avec les pères dépassent le stade des conversations courtes et entrent dans un mode où la part des sujets relationnels est potentiellement plus importante.

Les mères, qui ont quant à elles beaucoup plus souvent des conversations longues, sont ainsi plus souvent dans un usage relationnel du téléphone. La teneur des communications avec les mères ne varie pas de façon statistiquement significative si les mères sont séparées. Il semblerait tout au plus que tendanciellement, les conversations soient un peu plus courtes. Cela tient probablement à la plus grande place qui est accordée aux conversations téléphoniques avec le père séparé dans les emplois du temps – temps pris en quelques sortes à celui octroyé à la mère.

Tableau 52. Durée des communications téléphoniques entre le jeune adulte décohabitant et sa mère suivant sa situation matrimoniale
  Mères séparées Mères mariées Total
  Effectifs % Effectifs % %
Non réponse 4 14  
moins de 10 mn 45 37 120 29 37
entre 10 et 20 mn 52 43 182 44 43
plus de 20 mn 25 20 113 27 20
Total 126 100 429 100 100

Sous-population des décohabitants

Ces observations, pour éclairantes qu’elles soient, sont pourtant en grande partie biaisées dans la mesure où le contexte n’est pas pris en compte. Pour certains, la conversation téléphonique correspond à un choix dans le mode de communication, pour d’autres il répond à une contrainte géographique.

Notes
156.
Plus le temps passé au téléphone est important, plus la part des sujets relationnels est importante. Entre mère et jeune, la part des conversations contenant des sujets purement relationnels atteint 59 % lorsque la communication dépasse les 20 mn en moyenne.