Initiatives des communications téléphoniques avec les parents vivant ensemble suivant le degré d’autonomisation

Si être à l’initiative d’un appel téléphonique est une façon de « prendre soin de », nous supposons que les parents exercent d’autant moins cette fonction d’élevage et d’éducation que le jeune adulte est « autonome ». Autrement dit, plus les marqueurs de la position des jeunes adultes indiquent qu’ils ont accédé à une certaine indépendance vis-à-vis de leur sphère parentale, moins les parents devraient, chacun à leur échelle, être à l’initiative des appels.

Nous retiendrons tout d’abord le critère d’activité comme indicateur d’une autonomie financière (étudiants, actifs non occupés et actifs occupés). Ensuite, le fait d’être ou non installé en couple constitue un élément qui renseigne sur une certaine dépendance affective vis-à-vis de la famille d’origine. Enfin, l’arrivée d’un enfant, qui au contraire indique l’apparition d’une nouvelle génération, est susceptible d’entraîner, pour cette nouvelle génération, un souci de prise en charge de la part des nouveaux grands-parents débouchant de nouveaux sur des appels téléphoniques à leur initiative. L’âge sera également testé en ce qu’il constitue un indicateur synthétique de ces différents éléments auxquels il est étroitement corrélé.

Nous nous intéresserons dans un premier temps plus particulièrement aux jeunes adultes dont les parents vivent ensemble. La question de la fonction parentale est en effet intacte, alors que nous l’avons déjà démontré, la séparation du couple des parents vient redéfinir les rôles et les fonctions de chacun. Nous verrons à travers cette dimension des initiatives des appels téléphoniques comment se réorganisent, suite à une séparation des parents, les actes qui visent à signifier le fait de prendre soin de l’autre.

Afin de mener à bien cette analyse, il nous a paru nécessaire, pour évaluer les attitudes des pères par rapport à celles des mères, d’observer des situations comparables. En effet, l’absence de communication avec le père, pour une part non négligeable de la population dont les parents vivent ensemble (18 %), tend à brouiller l’analyse dans la mesure où, lorsque les mères uniquement sont en contact téléphonique avec le jeune adulte, elles sont beaucoup plus souvent à l’initiative des appels que lorsque les deux parents sont en contact téléphonique. Nous supposons qu’elles tentent par cette attitude de « remplacer » le père en prenant en charge toute seule la fonction symbolique signifiant qu’elles prennent soin de leur descendant. De plus, il s’agit plus souvent de milieux familiaux où les fonctions parentales sont fortement genrées, ce qui affirmerait la mère dans un rôle de maternage.

Graphique 49. Part des communications téléphoniques dont les mères ont l’initiative suivant l'existence ou non de communications téléphoniques avec le père
Graphique 49. Part des communications téléphoniques dont les mères ont l’initiative suivant l'existence ou non de communications téléphoniques avec le père

Sous-population des décohabitants

Devant ce constat et la spécificité déjà évoquée des milieux plutôt populaires dans lesquels l’usage du téléphone est délégué à la mère, il nous est apparu opportun de prendre en considération dans ces premières analyses seulement les enquêtés qui avaient des contacts téléphoniques avec leurs deux parents. Les répartitions suivantes sont donc présentées pour les jeunes adultes qui sont en contact téléphonique avec leurs deux parents.

Tableau 55. Initiative des appels suivant les indicateurs d'autonomisation des jeunes adultes dont les parents vivent ensemble. (en %)
  Age de l’enquêté Statut d’activité de l’enquêté Ménage de l’enquêté Présence d’enfant au domicile de l’enquêté Tri à plat
  18-22 23-26 27-30 actif étudiant sans activité seuls couples coloca-
taires
oui non /100 %
La mère appelle 59 56 44 50 58 49 50 51 68 46 53 52
L’enquêté appelle 41 44 56 50 42 51 50 49 32 54 47 48
Le père appelle 53 52 36 42 52 52 46 44 60 38 47 46
L’enquêté appelle 47 48 64 58 48 48 54 56 40 62 53 54

Sous-population des décohabitants dont les parents vivent ensemble, sans veuf, et dont les DEUX parents ont des communications téléphoniques avec eux.

Graphique 50. Initiative des appels des parents suivant les indicateurs d'autonomisation des jeunes adultes dont les parents vivent ensemble. (en %)
Graphique 50. Initiative des appels des parents suivant les indicateurs d'autonomisation des jeunes adultes dont les parents vivent ensemble. (en %)

Sous-population des décohabitants dont les parents vivent ensemble, sans veuf, et dont les DEUX parents ont des communications téléphoniques avec eux.

Pour le père comme pour la mère, l’initiative des appels au jeune adulte diminue au fur et à mesure que ce dernier vieilli : après 26 ans, l’initiative des contacts téléphoniques est largement laissée au descendant. L’âge, indicateur synthétique de l’autonomisation des jeunes adultes de la sphère parentale, laisse apparaître que plus l’on accède à l’autonomie, moins les parents sont à l’initiative des appels téléphoniques. Ce constat renforce l’idée selon laquelle appeler, pour les parents, est une façon de « prendre soin » de leur descendant et d’exercer leur fonction parentale.

En corrélation avec ces résultats, le statut d’activité rend également compte de l’indépendance économique du jeune adulte vis-à-vis de sa famille d’origine. Plus on est âgé, plus on a de chance d’être actif – les deux dimensions sont étroitement liées – et moins les appels téléphoniques sont à l’initiative des parents. La différence de statut (actif/étudiant) est en lien avec un comportement plus tranché de la part des pères : ils appellent majoritairement leurs enfants quand ceux-ci sont étudiants, mais une fois qu’ils sont devenus actifs occupés, les pères se font alors plus volontiers appeler. Les mères, qui suivent globalement la même logique, ont néanmoins des variations de comportement moins marquées suivant le statut de leur descendant. Autrement dit, si l’âge constitue une variable qui détermine en grande partie l’accès à un statut d’actif, il existe un effet spécifique de ce changement de statut sur le comportement des pères, qui, plus qu’en fonction de l’âge, laissent à l’initiative de leur descendant les communications téléphoniques quand ils les estiment être autonomes financièrement.

Les jeunes adultes « sans activité » sont d’autant plus dans une position intermédiaire que la façon de gérer cette position « entre deux » est très différente pour le père et la mère. Cette situation signifie qu’il n’y a pas réellement une autonomie financière de la part du jeune adulte. Les pères ont ainsi tendance à maintenir le même niveau d’initiative des appels que pour les étudiants, tout se passant comme si le fait que leur descendant ne soit pas autonome financièrement, quel que soit leur statut par ailleurs, les amenait à continuer à jouer leur rôle de parent et donc à prendre soin de leur descendant. C’est l’accès à l’autonomie financière qui les engagerait par la suite à cesser cette démarche pour laisser l’initiative des contacts téléphoniques aux jeunes adultes, qui prennent ainsi le relais. Le comportement maternel est moins aisé à analyser en ce qui concerne les jeunes adultes inactifs : il s’oppose en fait à celui des pères, puisque c’est lorsqu’ils sont sans activité que les mères les laissent le plus à l’initiative des appels164.

Comment expliquer, lorsque les jeunes adultes interrogés sont sans activité, que les mères soient beaucoup moins souvent à l’initiative des appels ? Nous pouvons supposer que d’une certaine façon, elles laissent pour partie, à ce moment-là, les pères prendre le relais. Mais quelle en est la raison ? L’analyse du profil de modalité pour cette population d’inactifs165 nous montre qu’il s’agit surtout de femmes, surreprésentées parmi celles ayant au moins un enfant, en couple et peu diplômées (pas de diplôme ou inférieur au bac). Elles sont issues de milieux plutôt populaires : les pères, plus souvent que pour les autres enquêtés, sont ouvriers et non diplômés, résidants en H.L.M., ayant eu de nombreux enfants. Il s’agit plus qu’ailleurs de décohabitantes locales (leurs parents résident dans le Rhône) et à qui les mères rendent très souvent visite. Ceci explique sûrement qu’il n’y ait que peu de trace d’appels à l’initiative de la mère puisque leur mode de communication semble être plus volontiers le face à face. De plus, nous l’avons établie précédemment, le nombre important d’enfants dans la fratrie amène les mères à diminuer pour chacun la fréquence des appels, ce qui corrobore les observations ici réalisées. Les caractéristiques sociales spécifiques de cette population ne nous permettent donc pas d’identifier quelle influence ce type de statut a sur le comportement téléphonique des parents. Cela nous laisse en revanche envisager les visites comme alternatives aux conversations téléphoniques.

Une autre dimension du processus d’autonomisation vis-à-vis de la sphère parentale est celui de la mise en couple, laquelle suggère qu’il y a quelqu’un d’autre que les parents pour prendre soin du jeune adulte. Nous supposions ainsi – toujours dans l’hypothèse que pour les parents, être à l’initiative d’un appel était une mesure pour signifier sa fonction parentale – que la mise en couple engendrait une baisse significative des initiatives d’appels. Les résultats vont à l’encontre de cette supposition. La mère est autant à l’initiative des appels, que le jeune adulte réside seul ou en couple. Quant au père, si la part des contacts téléphoniques dont il est à l’initiative diminue pour les enquêtés qui sont en couple, l’écart est trop faible pour être significatif. Cet indicateur d’autonomie affective qu’est la mise en couple ne joue donc que très partiellement sur l’expression de la fonction parentale des parents.

Nous avions également supposé que la présence d’enfant était susceptible de changer le statut des appels téléphoniques, qui, de la fonction de « prendre soin », passerait pour ces nouveaux grands-parents à la demande d’information légitimée par ce statut. Nous pouvions même penser que si la mise en couple n’entraînait pas les observations escomptées, c’était en raison d’une surenchère des appels à l’initiative des parents lorsqu’il y avait des petits-enfants, laquelle aurait marquée la baisse des appels suite à une mise en couple. Il en va tout autrement, puisque le père comme la mère sont moins souvent à l’initiative d’appels aux jeunes adultes lorsqu’il y a des enfants. En interrogeant le profil de modalité pour cette population de jeunes adultes dont les parents vivent ensemble, qui ont des contacts téléphoniques avec les deux parents et des enfants à résidence166, il s’avère qu’il s’agit d’une population qui présente des similarités fortes avec celle de ces jeunes femmes sans emploi précédemment détaillées. L’absence d’appel à l’initiative des parents est en fait compensée par leurs visites fréquentes au domicile de ces jeunes femmes, rendues possible grâce à la proximité géographique. Aussi, étant donné la spécificité de cette population, il semble hâtif de conclure que la présence d’enfant amène les parents à moins souvent prendre l’initiative des appels téléphoniques. Ces résultats démontrent surtout qu’étant donnée la population interrogée (18-30 ans), il n’est pas possible de mesurer l’effet que l’arrivée des enfants introduit dans les communications téléphoniques entre ascendants et descendants car cette situation est encore trop inégalement répartie dans la population.

Notes
164.

Cette formulation montre que nous faisons la supposition d’un comportement des mères qui prime sur celui de leur descendant. En effet, vraisemblablement, ce sont elles qui donnent un format au moment de la décohabitation puisqu’elles sont très souvent à l’initiative des appels lorsque leurs descendants sont parmi les plus jeunes de la population enquêtée.

165.

Voir profil en annexe, p 361.

166.

Voir profil en annexe p 363.